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MAMBRÉ
[Vol. 9, p. 954]
MAMBRÉ ou MAMRÉ, (Hist. eccles.) c'est le nom d'une vallée très-fertile & fort agréable dans la Palestine, au voisinage d'Hébron, & à 31 milles environ de Jérusalem. M. Moréry, je ne sais sur quel fondement, en fait une ville: à la vérité, l'épithete de ville fertile prouve que c'est ou une faute d'impression, ou d'inadvertence de sa part; ce lieu est célebre dans l'Ecriture sainte, par le séjour que le patriarche Abraham y fit sous des tentes, après
l'être séparé de son neveu Loth, & plus encore par la visite qu'il y reçut des trois anges ou messagers célestes, qui vinrent lui annoncer la miraculeuse naissance d'Isaac ce fils promis depuis long-tems, et attendu avec une foi, que la caducité de son pere, l'âge avancé et la matrice flétrie de sa mere, ne purent point déconcerter.
Le chêne, ou plutôt (comme le prétendent presque tous les commentateurs, on ne sait trop pourquoi) le térébinthe, sous lequel le patriarche reçut les anges, a été en grande vénération dans l'antiquité chez les Hébreux; S. Jérôme assûre qu'on voyoit encore de son tems, c'est-à dire sous l'empire de Constance le jeune, cet arbre respectable; &, si l'on en croit quelques voyageurs ou pélerins, quoique le térébinthe ait été détruit, il en a repoussé d'autres de sa souche qu'on montre, pour marquer l'endroit où il étoit. Les rabbins qui ont l'art, comme on le sait, de répandre du merveilleux sur tout ce qui a quelque rapport avec l'histoire de leur nation, & sur-tout à celle de leurs peres, ont prétendu que le térébinthe de Mambré étoit aussi ancien que le monde. Joseph de Bello, lib. V. cap. vij. Et bientôt après par un nouveau miracle, qui difficilement peut s'accorder avec ce prodige, et beaucoup moins encore avec la supposition que le patriarche reçut les anges sous le térébinthe, les judicieux rabbins disent que cet arbre étoit le bâton d'un des trois anges, qui ayant été planté en terre, y prit racine & devint un grand arbre. Eustach. ab allatio edit. Honoré de la présence des anges & du Verbe éternel, il devoit participer à la gloire du buisson ardent d'Horeb. Jul. Afric. apud Syncell. Aussi les rabbins n'ont point manqué de dire que quand on mettoit le feu à ce térébinthe, tout-d'un-coup il paroissoit enflammé; mais qu'après avoir éteint le feu, l'arbre restoit sain & entier comme auparavant. Sanute (in sacret. fid. crucis. p. 228.) fait au térébinthe de Mamré le même honneur qu'au bois de la vraie croix, & assûre qu'on montroit de son tems le tronc de cet arbre, dont on arrachoit des morceaux, auxquels on attribuoit les plus grandes vertus. Au reste, Josephe, saint Jérôme, Eusebe, Sozomene, qui parlent tous de ce vénérable térébinthe, comme existant encore de leurs jours, le placent à des distances toutes différentes de la ville d'Hébron, diversité topographique qui, pour le dire en passant, donne beaucoup de prise aux incrédules sur un fait d'ailleurs assez peu important.
Mais ce qui est digne d'observations, c'est que le respect particulier qu'on avoit, soit pour le térébinthe, soit pour le lieu où il étoit, y attira un si grand concours du peuple, que les Juifs naturellement fort portés au commerce & trafic, en prirent occasion d'y établir une foire qui devint très fameuse dans la suite. Et saint Jérôme (Hier. in Jerem. XXXI. & in Zach. X.) assûre qu'après la guerre qu'Adrien fit aux Juifs, on vendit à la foire de Mambré grand nombre de captifs juifs, qu'on y donna à un prix très-vil; & ceux qui ne furent point vendus, furent transportés en Egypte, ou, pour la plûpart, ils périrent de maux & de misere.
Le juif, partagé entre la superstition & l'agiotage, sut accréditer les foires de Mambré, en y intéressant la dévotion, & les convertissant, en quelque sorte, en des fêtes religieuses, ce qui y attira non seulement les marchands & les dévots du pays, mais aussi ceux de Phénicie, d'Arabie, & des provinces voisines. La diversité de religion ne fut point un obstacle à la fréquentation d'un lieu où l'on pouvoit satisfaire tout-à-la-fois, sa piété, son goût pour les plaisirs, son amour pour le gain. La fête de Mambré se célébrant en été, le térébinthe d'Abraham devint le rendez-vous des Juifs, des Chrétiens, & même des Payens.
Les Juifs venoient y vénérer la mémoire de leur grand patriarche Abraham: les chrétiens orientaux persuadés que celui des trois anges qui avoit porté la parole, étoit le Verbe éternel, y alloient avec ce respect religieux qu'ils ont pour ce divin chef & consommateur de leur foi. Quant aux Payens, dont toute la Mythologie consistoit en des apparitions de divinités ou venues de Dieu sur la terre, pleins de vénération pour ces messagers célestes qu'ils regardoient comme des dieux ou des démons favorables, ils leur éleverent des autels, & leur consacrerent des idoles; ils les invoquoient, suivant leurs coutumes, au milieu des libations de vin, avec des danses, des chants d'allégresse & de triomphe, leur offroient de l'encens, &c. Quelques-uns immoloient à leur honneur un boeuf, un bouc; d'autres un mouton, un coq même, chacun suivant ses facultés, le caractere de sa dévotion & l'esprit de ses prieres. Sozomene, qui détaille dans le liv. II. chap. iv. de son histoire ce qui concerne la fête de Mambré, n'est point clair; & sur ces diverses pratiques religieuses & sur l'intention de ceux qui les remplissoient, il se contente de dire que ce lieu étoit chez les anciens dans la plus grande vénération; que tous ceux qui le fréquentoient étoient dans une appréhension religieuse de s'exposer à la vengeance divine en le profanant, qu'ils n'osoient y commettre aucune espece d'impureté, ni avoir de commerce avec les femmes; que celles-ci fréquentoient ces foires avec la plus grande liberté, mieux parées qu'elles ne l'étoient d'ordinaire dans les autres occasions publiques, où leur honneur n'avoit pas les mêmes sauvegardes que sous le sacré térébinthe.
Mais ces beaux témoignages que ces deux divers auteurs rendent à la prétendue sainteté des fêtes de Mambré, sont contredits, parce qu'ils ajoutent que les dévots qui les fréquentoient nourrissoient avec soin pendant toute l'année ce qu'ils avoient de meilleur pour s'en régaler avec leurs amis, & faire le festin de térébinthe; comment, au milieu de la joie de ces repas en quelque sorte publics, puisque les deux sexes y étoient admis; comment, dans un simple campement, sans aucun édifice, & où les hommes & les femmes campoient pêle-mêle, puisqu'il n'y avoit d'autres maisons que celle où l'on prétendoit qu'Abraham avoit logé; comment, dis-je, au milieu de ces plaisirs bruyans, & dans ces circonstances ceux qui assistoient à ces fêtes pouvoient-ils garder la décence ou la retenue qu'exigeoit la sainteté du lieu? C'est ce qui paroît peu croyable, surtout si l'on considere le concours de dévots de diverses religions; & que, comme le dit un auteur, (Sozom. suprà citat.) personne ne puisoit pendant la fête de l'eau du puits de Mambré, parce que les Payens en gâtoient l'eau, en y jettant, par superstition, du vin, des gâteaux, des pieces de monnoie, des parfums secs & liquides, & tenant, par dévotion, un grand nombre de lampes allumées sur ses bords.
Mais ce qui détruit entierement l'idée de sainteté de la fête de Mambré, ou qui prouve que du moins du tems de Constantin les choses avoient extrèmement dégénéré; c'est ce que rapportent plusieurs auteurs (Socrat. liv. I. c. xviij. Eusebe de vita Constant. l. III. c. lij. Soz. &c.) qu'Eutropia, syrienne de nation, mere de l'impératrice Fausta, s'étant rendue en Judée pour accomplir un voeu, & ayant passé par Mambré, témoin oculaire de toutes les superstitions de la fête, & de toutes les horreurs qui s'y passoient, en écrivit à l'empereur Constantin son gendre, qui ordonna tout de suite au comte Acace de faire brûler les idoles, de renverser les autels, & de châtier, selon l'exigence du cas, ceux qui, après sa défense, seroient assez hardis pour commettre encore sous le térébinthe quelques abominations ou impiétés; il ordonna même, ajoutent ces auteurs, qu'on y bâtît une église très-belle, & que les évêques veillassent de près à ce que toutes choses s'y passassent dans l'ordre. Eusebe (de vita Constantini, lib. III. cap. lij.) prétend que c'est à lui que la lettre de l'empereur
fut adressée, que ce fut lui qui fut chargé du soin de faire exécuter ses ordres. De tout tems les évêques ont aimé à paroître avoir la confiance des empereurs, et être les dépositaires de leur autorité; c'est un foible que la mitre et la crosse donnent, plutôt qu'elles n'en guérissent. (Article envoyé par un théologien.)