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PUISSANCE PAPALE
[Vol. 13, p. 559]
Les ironies ingénieuses de la premiere partie sont telles qu'un docteur ultramontain y pourroit être attrapé, & les employer tout de bon comme des preuves. C'est pourquoi il ne sera pas hors de propos de les discuter.
« N'est-il pas dit (c'est l'anonyme qui parle) que tout genouil terrestre fléchira au nom du chef invisible? Comment le chef visible ne terrassera-t - il pas tous ses ennemis? Comment n'auroit-il pas confondu tous ceux qui ont osé lui résister? Le ches visible n'agit que par le pouvoir du chef invisible: si le maître est toujours victorieux, il faut bien que le vicaire le soit aussi. Ce miracle est un article de foi: c'est trop peu dire, il est le grand mobile de la religion. La religion ne doit pas moins assujettir le corps que l'esprit à son empires personne ne le dispute: elle a droit sur l'homme tout entier: comme les récompenses sont proposées à la substance matérielle, aussi-bien qu'à la spirituelle, l'une & l'autre doivent subir également le joug des lois, & les menaces regardent indifféremment toutes les deux. Ce principe une fois renversé, que deviendroit la sainte inquisition? Ce divin tribunal n'auroit plus d'autre fondement qu'une cruauté barbare; & cet arsenal sacré ne renfermeroit pas une arme qui n'eût été forgée au feu de l'enfer. Le pape est donc le maître des corps aussi-bien que des ames; & comme son autorité sur les consciences n'a point de bornes, son pouvoir sur les corps doit être invincible; d'ailleurs n'étoit-il pas de la juste économie du salut que la puissance ne fût pas moins étendue que la lumiere? De quoi serviroit à un chef divinement établi de connoître tout, s'il n'avoit pas le pouvoir de disposer de tout? Il seroit fort inutile à cet Hercule d'écraser les monstres de l'erreur, s'il n'avoit pas droit de terrasser les monstres de l'impiété: ce droit embrasse les rois & les empereurs, qui, pour commander à des peuples, ne sont pas moins les sujets de l'Eglise. Les papes ont tenu tête à ces premiers sujets toutes les fois qu'ils se sont révoltés contre cette bonne mere: ils leur ont opposé une puissance infinie; comment les papes auroient-ils eû le dessous? Et voilà le véritable dénouement des glorieux & inimaginables succès de la nouvelle monarchie romaine ».
Ce discours étant pris sans ironie, formeroit ce raisonnement sérieux; que des-là que les évêques de Rome ont été considérés comme les vicaires de Jesus - Christ, dont la puissance sur les corps & sur les ames n'a point de bornes, il a fallu que leur empire se soit établi facilement sur les peuples, & même sur le temporel des souverains. Une distinction suffira pour résoudre cette difficulté. Qu'on suppose avance tant qu'on voudra que Jesus - Christ a établi un vicariat dans son Eglise, le bon sens, la droite raison ne laisseront pas de nous apprendre qu'il l'a établi, non pas en qualité de souverain maitre, & de créateur de toutes choses, mais en qualité de médiateur entre Dieu & les hommes, ou en qualité de fondateur d'une religion qui montre aux hommes la voie du salut, qui promet le paradis aux fideles & qui menace de la colere de Dieu les impénitens. Voilà donc les bo nes de la puissance du vicaire que Jesus - Christ auroit établi. Ce vicaire ne pourroit tout-au plus que décider de la doctrine qui sauve ou qui damne. Il faudroit qu'après avoir annoncé les promesses du paradis & les menaces de l'enfer, & apres les instructions, les censures, & telles autres voies de persuasion & de direction spirituelle, il laissât à Dieu l'exécution des menaces non-seulement à l'égard des peines à l'autre vie, mais aussi à l'egard des châtimens corporels dans ce monde-ci. Jesus - Christ lui-même n'en usoit pas autrement. Il suivit dans la derniere exactitude le véritable esprit de la religion, qui est d'éclairer & de sanctifier l'ame, & de la conduire au salut par les voies de la persuasion sans empiéter sur la politique, l'autorité de punir corporellement les opiniâtres & les incrédules, dont il trouvoit un nombre infini; car il n'est pas vrai qu'à cet égard le chef & le maître de l'Eglise soit toujours victorieux.
Ainsi ceux-mêmes qui ont été le plus fortement persuadés que le pape est le vicaire de Jesus - Christ, ont dû regarder comme un abus du vicariat tout ce qui sentoit la jurisdiction temporelle & l'autorité de
punir le corps. Et de-là devoient sortir naturellement une infinité d'obstacles aux conquêtes de l'éveque de Rome principes contraires. Il n'est pas inutile de connoître tout, encore que l'on n'ait pas le pouvoir de disposer de tout. C'est assez que la religion fasse connoître sûrement ce qu'il faut croire, & ce qu'il faut faire; c'est assez qu'elle puisse clairement réfuter l'erreur, & ce n'est qu'en ce sens-là que l'autorité de terrasser les monstres de l'hérésie & de l'impiété lui appartient. Si les hommes résistent à ses lumieres, c'est à Dieu à les en punir comme des inexcusables. Ce n'est point l'affaire de la religion, ni une partie du ministere établi par Jesus - Christ. Voici la seconde partie de la réflexion de l'anonyme.
« Ne volons pas si haut, & parlons plus humainement, il n'y a rien de si surprenant dans la grandeur des papes. A la faveur de quelques passages de l'Ecriture, ils des enthousiastes ont persuadé le monde de leur divinité; cela est-il nouveau? Jusqu'où les hommes ne se laissent-ils pas entraîner en fait de religion? Ils aiment sur-tout à diviniser leur semblable. Le Paganisme le démontre. Or posé une fois que les papes ayent pû facilement établir les divins privileges de leur charge, n'étoit-il pas naturel que les peuples se déclarassent pour eux contre toutes les autres puissances? Pour moi, bien-loin d'être surpris de leur élévation, j'admire comment ils ont pû manquer la monarchie universelle: le nombre des princes qui ont secoué le joug romain me confond; quand j'en cherche la raison, je ne puis me prendre qu'à ces deux causes si générales & si connues, que l'homme n'agit pas toujours conséquemment à ses principes, & que la vie présente fait de plus fortes impressions sur son coeur que celle qui est à venir ».
Laissons croire, dit M. Bayle, à l'auteur anonyme de l'Esprit des cours de l'Europe, à cet écrivain fin & subtil, que les papes ont pu aisément persuader qu'ils étoient des dieux en terre, c'est-à-dire qu'en qualité de chefs visibles de l'Eglise, ils pouvoient déclarer authentiquement, cela est hérétique, cela est orthodoxe, régler les cérémonies & commander à tous les évêques du monde chrétien. Résultera-t - il de-là qu'ils ayent pu aisément établir leur autorité sur les monarques, & les mettre sous leur joug avec la derniere facilité? C'est ce que je ne vois point. Je vois au contraire que, selon les apparences, leur puissance spirituelle devoit courir de grands risques par l'ambition qu'ils avoient d'attenter sur le temporel des rois. Prenez garde, dit-on un jour aux Athéniens, que le soin du ciel ne vous fasse perdre la terre; tout au rebours, on auroit dû dire aux papes:
« Prenez garde que la passion d'acquérir la terre ne vous fasse perdre le ciel: on vous ôtera la puissance spirituelle, si vous travaillez à usurper la temporelle ».
On sait que les princes les plus orthodoxes sont plus jaloux des intérêts de leur souveraineté que de ceux de la religion. Mille exemples anciens & modernes nous l'apprennent: il n'étoit donc point probable qu'ils souffriroient que l'Eglise s'emparât de leurs domaines & de leurs droits, & il étoit probable qu'ils travailleroient plutôt à amplifier leur autorité au préjudice de l'Eglise, qu'ils ne laisseroient amplifier la puissance de l'Eglise au préjudice de leur puissance temporelle.
Cette dispute devoit donc être fatale aux pontifes usurpateurs de l'autorité temporelle; car il est aisé de montrer, & par des textes formels de l'Ecriture, & par l'esprit de l'Evangile, & par l'ancienne tradition, & par l'usage des premiers siecles, que les papes ne sont nullement fondés dans leurs prétentions de disposer des couronnes, & de partager en tant de choses les droits de la souveraineté. Cela peut même frayer le chemin à rendre problématique ébranler leur autorité spirituelle; & en les mettant ainsi sur la défensive à l'égard de ce point-là, dans quel embarras les jette-ton? Quel péril ne leur fait-on pas courir par rapport même aux articles que les peuples s'étoient laissé persuader d'adopter? Il ne faut pas compter pour peu de chose la disposition, qu'il est probable qu'auront à servir les princes, les ecclésiastiques, que la cour de Rome veut contraindre à ne se point marier. Le nombre de ceux qui trouvent ce joug trop dur, est innombrable: les incontinens honnêtes sont ceux qui ont le plus à coeur le privilege de se marier; car, pour ceux qui n'ont guere de conscience, ils se dédommagent par le concubinage.
Mais lisons l'histoire des papes, nous verrons qu'ils n'ont avancé dans leur chemin & qu'ils n'ont gagné du terrein qu'en renversant des obstacles qu'ils ont rencontrés à chaque pas. On leur a opposé des armées & des livres, on les a combattus & par des prédications, & par des libelles & par des prophéties; on a tout mis en usage pour arrêter leurs conquêtes, & tout s'est trouvé inutile. Mais pourquoi? C'est à cause qu'ils se sont servi de tous les moyens imaginables. Les armes, les croisades, les tribunaux de l'inquisition ont secondé en leur faveur les foudres apostoliques; la ruse, la violence, le courage & l'artifice ont concouru à les protéger. Leurs conquêtes ont couté la vie à autant de gens, ou peu s'en faut, que celles de la république romaine. On voit beaucoup d'écrivains qui appliquent à la nouvelle Rome, ce que Virgile a remarqué touchant l'ancienne.
Multa quoque & bello passus dùm conderet urbem
Inferretque deos latio.
AEneïd. lib. I. vers. 3.
Concluons que la puissance où les papes sont parvenus est un des plus grands prodiges de l'histoire humaine, & l'une de ces choses qui n'arrivent pas deux fois. Si elle étoit à faire, je ne crois pas qu'elle se fît. Une singularité de tems aussi favorable dans cette entreprise ne se rencontreroit point dans les siecles à venir, comme elle s'est rencontrée dans les siecle passés; & si ce grand édifice se détruisoit & que ce fût à recommencer, on n'en viendroit pas à bout. Tout ce que peut faire présentement la cour de Rome, avec la plus grande habileté politique qui se voie dans l'univers, ne va qu'à se maintenir: les acquisitions sont finies. Elle se garde bien d'oser excommunier une tête couronnée, & combien de fois faut-il qu'elle dissimule son ressentiment contre le parti catholique qui dispute aux papes la supériorité et l'infaillibilité, & qui, fait brûler les livres qui lui sont les plus favorables? Si elle tomboit aujourd'hui dans l'embar ras de l'antipapat, je veux dire dans ces confusions de schismes où elle s'est trouvée tant de fois, & où l'on voyoit pape contre pape, concile contre concile, infestisque obvia signif signa, pares aquilas, & pila minantia pilis, elle n'en sortiroit pas à son honneur avec avantage: elle échoueroit dans un siecle comme le nôtre avec toute sa dextérité: elle a perdu les plus beaux fleurons de sa couronne, & les autres sont bien endommagés. (D. J.)