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TARRAGONE
[Vol. 15, p. 916]
TARRAGONE, (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la Catalogne, sur une colline, dont la pente s'étend jusqu'au rivage de la mer Méditerranée, entre deux rivieres, le Gaya & le Francoli. Elle est située à 20 lieues au couchant de Barcelone, & à 90 de Madrid. L'air y est pur, & il s'y fait du commerce en huile, en lin & en vin. Son territoire est très-fertile, & offre un des plus beaux paysages du monde; mais son port n'est pas bon, à cause des rochers qui en empêchent l'entrée aux gros vaisseaux.
Tarragone est honorée d'une université & d'un siege archiépiscopal, qui a disputé la primatie à celui de Tolede. Son diocese s'étend sur 197 paroisses. L'archevêque jouit de vingt mille ducats de revenu, & a pour suffragans les évêques de Barcelone, de Tortose, de Lérida, de Girone, &c.
Tarragone est fortifiée de bastions & d'autres ouvrages réguliers à la moderne. Plusieurs de ses maisons sont presque toutes bâties de grosses pierres de taille quarrées. Long. 18. 55. latit. 41. 10.
Les Romains la nommerent Taraco, d'où les Espagnols ont fait Tarragona. Les Scipions s'en étant rendu maîtres dans les guerres puniques, en firent le lieu de leur résidence, ainsi qu'une belle place d'armes contre les Carthaginois. Auguste s'y trouvant dans la vingt-troisieme année de son regne, lui donna le titre d'Augusta, & y reçut plusieurs ambassadeurs. Ses habitans, par reconnoissance, bâtirent un temple en son honneur. L'empereur Antonin le Pieux aggrandit son port, & le garnit d'un grand mole. Enfin cette ville devint si puissante & si considérable, que, dans la répartition qui fut faite de l'Espagne, les Romains donnerent son nom à la plus grande partie de ce vaste continent, en l'appellant Espagne tarragonoise.
Après cela faut-il s'étonner qu'on ait trouvé dans cette ville & aux environs beaucoup de monumens anciens, comme des médailles, des inscriptions, & les ruines d'un cirque où se faisoient les courses des chevaux dans une place nommée aujourd'hui la plaça de la Fuente?
On y a aussi trouvé les ruines d'un théatre, qui étoit en partie taillé dans le roc & en partie bâti de gros quartiers de marbre, dans l'endroit où est à présent l'église de Notre - Dame du miracle. Cette église, ainsi que la cathédrale, doivent leur construction aux pierres & au marbre qu'on a tirés des débris de cet ancien théatre des Romains.
Les Maures prirent Tarragone en 719, & la démantelerent. Le pape Urbain II. y envoya une colonie en 1038, & ensuite céda cette ville à Raymond Berenger, comte de Barcelone. Les François assiégerent Tarragone en 1641, sans pouvoir s'en rendre maîtres.
Elle est la patrie d'Orose (Paul), prêtre, & historien ecclésiastique du v. siecle. Il lia grande connoissance avec S. Augustin, qui l'envoya en 415 à Jérusalem auprès de S. Jérôme, pour le consulter sur l'origine de l'ame. Je suis confondu d'une semblable consultation de la part d'un docteur qui passe pour une des lumieres de l'Eglise. Quoi, S. Augustin ne savoit pas ce qu'il devoit croire de l'origine de l'âme? Il lui falloit députer d'Afrique en Palestine un fidele disciple vers un vieillard décrépit pour éclairer sa foi? Orose au bout de l'année rapporta la réponse de S. Jérôme que nous ignorons, mais qui devoit être celle de l'Ecriture: L'âme retourne à Dieu qui l'a donnée...
Quoi qu'il en soit de la réponse qu'a pû faire S. Jérôme, ce fut au retour du voyage de Palestine que le prêtre de Tarragone composa son histoire générale, qui commence avec le monde & qui finit l'an 416 de Jesus - Christ. Il y en a plusieurs éditions; la premiere est, je pense, à Venise en 1500; la seconde est à Paris en 1506, chez Petit; la troisieme en 1524, à Paris, in-sol. Ces trois éditions sont moins correctes que les suivantes, à Cologne 1536, 1542, 1561, 1572.
On ne peut contredire raisonnablement le jugement que Casaubon porte de cet ouvrage, qui néanmoins n'est pas sans utilité. On voit à-travers les termes honnêtes du savant critique de Genève, qu'il n'en faisoit pas grand cas. En effet la tâche que prit Orose étoit au-dessus de ses forces. Il ignoroit le grec, & connoissoit fort peu l'histoire romaine. D'ailleurs il peche souvent contre la chronologie, & croit trop aux bruits populaires.
On dit qu'il avoit intitulé son livre de miseriâ hominum; mais j'imagine que c'est quelque homme d'esprit qui lui a prêté ce titre si convenable à l'histoire en général, & plus encore à l'histoire ecclésiastique qui est le miroir des miseres de l'esprit humain & des maux que son intempérance fait dans le monde. (Le chevalier