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MANNE DU DESERT
[Vol. 10, p. 45]
pas, comme la manne d'Arabie, une qualité medecinale, qui purge & affoiblit; mais que l'estomac y étant accoutumé, elle pouvoit nourrir & sustenter; & même Fuschius dit, que les paysans du mont Liban, mangent la manne qui vient dans leur pays, comme on mange ailleurs le miel; aussi plusieurs commentateurs sont dans l'idée que le miel sauvage, dont Jean - Baptiste se nourrissoit sur les bords du Jourdain, n'est autre chose que la manne de l'Orient.
On ne peut que difficilement se faire une idée juste de la manne dont Dieu nourrissoit son peuple au desert, voici ce que Moïse nous en rapporte: il dit (Gen. xvj, V. 13, 14, 15.), qu'il y eut au matin une couche de rosée au-tour du camp, que cette couche de rosée s'étant évaporée, il y avoit quelque chose de menu & de rond, comme du gresil sur la terre, ce que les enfans d'Israel ayant vû, ils se dirent l'un à l'autre, qu'est-ce? car ils ne savoient ce que c'étoit. L'auteur sacré ajoute, au V. 31 du même chapitre: Et la maison d'Israël nomma ce pain manne; & elle étoit comme de la semence de coriandre, blanche, & ayant le goût de bignets au miel.
Il y a sur l'origine du mot manne quatre opinions principales: elles ont chacune leurs partisans qui les soutiennent, avec ce détail de preuves & d'argumens étymologiques, lesquels, comme on le sait, emportent rarement avec eux une démonstration.
La premiere, & la plus généralement suivie par les interpretes, c'est que le nom signifie qu'est-ce? La narration de Moïse fortifie cette opinion; ils se dirent l'un à l'autre qu'est-ce? car its ne savoient ce que c'étoit. Dans l'hébreu il y a
La seconde, des savans, &, entre autres, Hascunq, prétendent que man-hou est compose d'un mot égyptien & d'un mot hébreu, dont l'un signifie quoi, & l'autre cela, & que les Israélites appellerent ainsi l'aliment que leur présentoit Moïse, comme pour insulter à ce pain céleste, dont il leur avoit fait fête, man-hou, quoi cela?
La troisieme, les rabins, & plusieurs chrétiens après eux, font venir le mot de manne de la racine minach, qui signifie préparé, parce que la manne étoit toute prête à être mangée, sans autre préparation que de l'amasser; ou plutôt, parce que les Israélites, en voyant cet aliment, se dirent l'un à l'autre, voici ce pain qui nous a été préparé; & ils l'appellerent manne, c'est-à-dire, chose préparée. Deig, Crit. sacra, in voce manna, pag. 127.
La quatrieme, enfin le savant M. le Clerc prétend que le mot manne vient du mot hébreu manach, qui signifie un don; & que les Israélites, surpris de voir le matin cette rosée extraordinaire; & ensuite de ce que leur dit Moïse: c'est ici le pain du ciel, s'écrierent, man-hou, voici le don, ou, peut-être, par une expression de dédain, qui étoit bien dans l'esprit & le caractere de ce peuple indocile & grossier, ce petit grain qui couvre la rosée, est-ce donc-là ce don que l'éternel nous avoit promis?
On doit, en saine philosophie, regretter le tems qu'on met à rechercher des étymologies, sur-tout lorsqu'elles ne répandent pas plus de jour sur le sujet dont il s'agit, & sur cê qui peut y a avoir du rapport, que les diverses idées qu'on vient d'articuler, que la manne ait reçu son nom d'un mouvement, d'étonnement, de gratitude ou de dédain, c'est ce qu'on ne peut décider, qu'il importe assez peu de savoir, & qui d'ailleurs ne change rien à la nature de la chose.
Ce qu'il y a de moins équivoqne, c'est que sur la maniere dont l'auteur sacré rapporte la chose, on ne peut pas raisonnablement douter que la manne du desert n'ait été miraculeuse, & bien différente, par-là-même, de la manne ordinaire d'Orient. Celle-ci ne paroît que dans certain tems de l'année; celle du desert tomboit tous les jours, excepté le jour du sabath; & cela pendant quarante années: car elle ne cessa de tomber dans le camp des Israélites, que lorsqu'ils furent en possession de ce pays, découlant de lait & de miel, qui leur fournit en abondance des alimens d'une toute autre espece. La manne ordinaire ne tombe qu'en fort petite quantité, & se forme insensiblement; celle du desert venoit tout-d'un-coup, & dans une fi grande abondance, qu'elle suffisoit à toute cette prodigieuse & inconcevable multitude, qui étoit à la suite de Moïse.
La manne ordinaire peut se conserver assez long-tems, & sans préparation: celle qui se recueilloit dans le desert, loin de se conserver, & de se durcir au soleil, se fondoit bientôt: vouloit-on la garder, elle se pourrissoit, & il s'y engendroit des vers: la manne ordinaire ne sauroit nourrir, celle du desert sustentoit les Israélites.
Concluons de ces réflexions, & d'un grand nombre d'autres, qu'on pourroit y ajouter que la manne du desert étoit miraculeuse, surnaturelle, & très différente de la manne commune: c'est sur ce pied-là que Moïse veut que le peuple l'envisage, lorsqu'il lui dit (Deut. viij, V. 23.):
« Souviens-toi de tout le chemin par lequel l'éternel, ton Dieu, t'a fait marcher pendant ces quarante ans dans ce desert, afin de t'humilier, & de t'éprouver, pour connoître ce qui est en ton coeur; si tu gardois ses commandemens ou non: il t'a donc humilié, & t'a fait avoir faim; mais il t'a repû de manne, laquelle tu n'avois point connue, ni tes peres aussi, afin de te faire connoître que l'homme ne vivra pas de pain seulement; mais que l'homme vivra de tout ce qui sort de la bouche de Dieu.»
Le pain désigne tous les alimens que fournit la nature; & ce qui sort de la bouche de Dieu, sera tout ce que Dieu, par sa puissance infinie, peut créer & produire pour nourrir & sustenter les humains d'une maniere miraculeuse.
Il me semble même que l'éternel voulut faire connoître à son peuple, que c'étoit bien de sa bouche que sortoit la manne, puisque les Hébreux, comme le leur représente leur conducteur, virent la gloire de l'éternel, c'est-à-dire, une lumiere plus vive, plus éclatante que celle qui les conduisoit ordinairement; & ce fut du milieu de ce symbole extraordinaire de sa présence, que Dieu publia ses ordres au sujet de l'aliment miraculeux qu'il leur dispensoit; & il le fit d'une maniere bien propre à les faire observer. Il leur ordonna 1°. de recueillir la manne chaque matin pour la journée seulement; 2°, en recueillir chacun une mesure égale, la dixieme partie d'un éphu, ce qui s'appelle un hower, c'est-à-dire, cinq à six livres; 3°. de ne jamais recueillir de la manne le dernier jour de la semaine, qui étoit le jour du repos, dont la loi de Sinaï leur ordonnoit l'exacte observation.
Ces trois ordres particuliers, également justes, raisonnables & faciles, fournissent aux moralistes une ample matiere de bien de réflexions édifiantes, & de plusieurs maximes pratiques, le tout fortifié par d'amples déclamations contre l'ingrate indocilité des Hébreux.
L'envoi de la manne au desert étoit un événement trop intéressant pour n'en pas perpétuer la mémoire dans la postérité de ceux en faveur desquels s'étoit opéré ce grand miracle; aussi l'éternel voulut en conserver un monument autentique; voici ce que Moïse dit à Aaron sur ce sujet, par l'ordre de Dieu (Exod. xvj, V. 33.): Prends une cruche,
& mets-y un plein hower de manne, & le pose devant l'éternel pour être gardé en vos âges.
S. Paul nous apprend que cette cruche étoit d'or; & par ces mots, être posée devant l'éternel, (Hébr. ix. 4.) il explique être mise dans l'arche, ou, comme portent d'autres versions, à côté de l'arche, ce qui paroît plus conforme à quelques endroits de l'Ecriture qui nous apprennent qu'il n'y avoit rien dans l'arche que les tables de l'alliance (Exod. xxv, 16. I. Rois viij. 9. II. chron. V. 10.); il faut d'ailleurs observer, que lorsque Moïse donna cet ordre à son frere, l'arche n'existoit point, & qu'elle ne fut construite qu'assez long-tems après.
Au reste, le célébre M. Réland a fait de savantes & de curieuses recherches sur la figure de cette cruche ou vase, dans lequel étoit conservée la manne sacrée. Il tire un grand parti de sa littérature, & de sa profonde connoissance des langues, pour faire voir que ces vases avoient deux anses, que quelquefois ils s'appelloient ovoi; ainsi dans Athénées on lit ονουστ γεμοντας οιν, c'est-à-dire, des ânes remplis de vin, d'ou notre savant commentateur prend occasion de justifier les Hébreux de la fausse accusation de conserver dans le lieu saint la tête d'un âne en or, & d'adorer cette idole. Voyez Reland Dissertatio altera de inscript. quorumdam nummorum Samaritanorum, &c.
Le livre des nombres (xj. 7.) dit que la manne étoit blanche comme du bdellion. Bochart, (Hier. part. Il. lib. V. cap. v. pag. 678.), d'après plusieurs thalmudistes, pretend que le bdellion signifie une perle; à la bonne-heure, peu importe.
Ceux d'entre les étymologistes qui ont tiré le mot manne du verbe minnach, préparer, par la raison, disent ils, qu'elle n'avoit pas besoin de préparation, n'ont pas fait attention à ce qui est dit au verset 8 du chap. xj. des nombres. Le peuple se dispersoit, & la ramassoit, puis il la mouloit aux meules, ou la piloit dans un mortier, & la faisoit cuire dans un chaudron, & en faisoit des gâteaux, dont le goût étoit semblable à celui d'une liqueur d'huile fraîche, ce qui, pour le due en passant, nous fait voir combien la manne du desert devoit être solide & dure, & coute différente, par-là-même, de la manne d'Arabie, ou de celle de Calabre.
Quant à son goût, l'Ecriture-sainte lui en attribue deux différens: elle est comparée à des bignets faits au miel; & dans un autre endroit, i de l huile fraîche; peut être qu'elle avoit le premier de ces goûts avant que d'être pilée & apprêtée, & que la préparation lui donnoit l'autre.
Les Juifs (Schemoth Rabba, lect. xxv., fol. 24.) expliquent ces deux goûts differens, & prétendent que Moise a voulu marquer par-là, que la manne étoit comme de l'huile aux enfans, comme du miel aux viellards, & comme des gâteaux aux personnes robustes. Peu contens de tout ce qu'il y a d'extraordinaire dans ce miraculeux événement, les rabbins ont cherché à en augmenter le merveilleux par des suppositions qui ne peuvent avoir de réalité que dans leur imagination, toujours poussée à l'extrême. Ils ont dit que la manne avoit tous les goûts possibles, hormis celui des porreaux, des oignons, de l'ail, & celui des melons & concombres, parce que c'etoient-là les divers légumes après lesquels le coeur des Hebreux soupiroit, & qui leur faisoient si fort regretter la maison de servitude. Thalmud Joma, cap. viij. fol. 75.
Ils ont accordé à la manne tous les parfums de divers aromates dont étoit rempli le paradis terrestre. Lib. Zoar, sol. 28. Quelques rabbins sont allés plus loin (Schemat Rabba, sect. xxv, &c.), & n'ont pas eu honte d'assurer que la manne devenoit poule, perdrix, chapon, ortolan, &c. selon que le souhaitoit celui qui en mangeoit. C'est ainsi qu'ils expliquent ce que Dieu disoit à son peuple: Qu'il n'avoit manqué de rien dans le desert. Deut. xj 7. Neh. ix. 21. S. Augustin (tom. I. retract. lib. II. pag. 33.), dont à la vérité l'imagination rabbiniste quelquefois, rafine sur profite de cette opinion des docteurs juifs, & cherche à en tirer pour la morale un merveilleux parti, en établissant qu'il n'y avoit que les vrais justes qui eussent le privilege de trouver dans la manne le goût des viandes qu'ils aimoient le plus: ainsi, dans le systême de S. Augustin, peu de justes en Israël; car tout le peuple conçut un tel dégoût pour la manne, qu'il murmura, & fit, d'un commun accord, cette plainte, qui est plus dans une nature foible, que dans une pieuse résignation: quoi! toujours de la manne? nos yeux ne voient que manne. Nomb. xj. 6.
Encore un mot des rabbins. Quelque ridicules que soient leurs idées, il est bon de les connoître pour savoir de quoi peut être capable une imagination dévotement échauffée. Ils ajoutent au récit de Moïse, que les monceaux de manne étoient si hauts, & si élevés, qu'ils étoient apperçus par les rois d'Orient & d'Occident; & c'est à cette idée qu'ils appliquent ce que le Psalmiste dit au pseaume 23. V. 6. Tu dresses ma table devant moi, à la vûe de ceux qui me pressent. Thalmud Joma, sol. 76, col. 1.
Le Hébreux, & en général les orientaux, ont pour la manne du desert une vénération particuliere. On voit dans la bibliotheque orientale d'Herbelot, pag 647, que les Arabes le nomment la dragée de la toute-puissance.
Et nous lisons dans Abenezra sur l'exode, que les Juifs, jaloux du miracle de la manne, prononcent malédiction contre ceux qui oseroient soutenir l'opinion contraire.
Akiba prétendoit que la manne avoit été produite par l'épaississement de la lumiere céleste, qui, devenue matérielle, étoit propre à servir de nourriture à l'homme: mais le rabbin Ismaël desapprouva cette opinion, & la combattit gravement; fondé sur ce principe, que la manne, selon l'Ecriture, est le pain des anges. Or les anges, disoit-il, ne sont pas nourris par la lumiere, devenue matérielle; mais par la lumiere de Dieu-même. N'est-il pas à craindre, qu'à force de subtilités, on fasse de cette manne une viande un peu creuse?
Au reste, le mot de manne est employé dans divers usages allégoriques, pour désigner les vérités dont se nourrit l'esprit, qui fortifient la prété, & soutiennent l'ame.