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Table of Contents
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Aublet de Maubuy, Histoire des troubles et des démêlés
Aublet de Maubuy
Histoire des troubles et des démêlés
littéraires, depuis leur origine jusqu'à nos jours inclusivement
(1779)
Chapitre XXXII: Sommaire.
Le Pere Berthier est le premier aggresseur de l'Encyclopédie. Histoire des querelles que cet Ouvrage & ses ennemis occasionnent. Portrait des principaux Encyclopédistes. Injustice a leur égard.
Le Pere Berthier, Journaliste de Trévoux, fut le premier aggresseur
de l'Encyclopédie; il s'éleva contre elle, avant même
qu'elle existât. Cependant en 1745, il avoit beaucoup applaudi au
simple projet de Chamber; mais lorsqu'en I750, il annonça l'ouvrage,
il changea de langage. On crut que c'était de dépit de voir
l'èxécution d'un projet, dont il aurait voulu que sa Société
eût la gloire. Quoiqu'il en soit, dès que le Prospectus parut,
il revint bien vite à la charge, & attaqua les Editeurs sans
ménagement. Il les accusa de n'être que les copistes du Chancelier
Bacon, d'avoir transplanté dans leur ouvrage l'arbre généalogique
des Sciences humaines, imaginé & exposé par cet Anglois
dans son nouvel organe des Sciences. Il leur reprocha que I'Encyclopédie,
malgré leurs grandes vues, ne pourroit mettre en évidence,
que les. richesses d'une partie de la Littérature & l'indigence
des autres; que l'exécution de ce plan serait impossibIe, par le
défaut où nous étions de Sçavans en état
d'y concourir.
M. Diderot, qui ne regarda point le coup mortel, ni même douloureux,
lui répondlt: Paete, non dolet.
Il se plaignit cependant qu'il eût
osé accuser de plagiat une société d'Ecrivains qui
avoient expressément averti de la source où ils avoient puisé
tout leur systême. Comme il lui avoit reproché de n'avoir pas
des idées assez vastes, pour placer les Journalistes dans l'arbre
Encyclopédique:
pour le rassurer, il lui promit de célébrer avec justice ses
illustres Prédécesseurs, de dire que le P. Bougeant mettoit
dans ses Mémoires de la Logique; le P. Brumoi, des connoissances;
le P. de la Tour, de l'usage du monde; le P. Castel, du feu & de l'esprit:
qu'il n'oublieroit pas qu'on y distinguoit aujourd'hui les extraits du P.
de Préville, son collegue, une Métaphysique fine & déliée,
à un style noble & simple, & surtout à une grande impartialité;
que lui en son particulier, ne seroit pas oublié; que pour remplir
les intentions, il feroit passer à la Postérité l'idée
de son mérite; & qu'il espéroit, qu'il trouveroit dans
ce grand ouvrage plus de philosophie que de mémoire; mais que si
l'ouvrage n'était pas de son goût, ce n'étoit que parce
que dans son Journal tout y étoit loué, excepté l'histoire
de Julien, les ouvrages de Mylord Bolin-brooke, & l'Esprit des Loix.
Le P. Berthier, pour réponse, inséra la Lettre dans un de
ses Journaux, avec des Notes, dans lesquelles il contesta aux Auteurs jusqu'à
la branche philosophique qu'ils disoient être de leur invention.
M. de Voltaire qui en vouloit à ce Journaliste pour de mauvaises
plaisanteries lancées contre lui, saisit cette occasion pour se venger;
outre plusieurs lettres qu'il écrivit contre lui, il donna la relation
de la maladie, de la confession, de la mort & de l'apparition du Jésuite
Berthier, production qui fait connoître que M. de Voltaire a dans
les mains le fléau du ridicule.
En 1751, le premier volume parut. Le Journaliste en rendit compte, mais
il eut l'infidélité de fermer les yeux sur les beautés
du Discours Préliminaire, qui:étoit de M. d'Alembert. Pour
le défigurer, il se contenta, selon l'usage des Journalistes, d'en
citer quelques morceaux, qui décousus, ne pouvoient pas donner grande
idée de l'ouvrage. Il parcourut les articles de l'Encyclopédie,
& n'y voulut voir que larcins, que plagiats. Pour intéresser
le Gouvernement, il dénonça l'ouvrage comme contenant des
maximes hardies, contraires à la Religion, à l'Etat. Cette
accusation grave alarma en effet le Gouvernement. Les travaux des Editeurs
furent suspendus; & l'ouvrage arrêté. Alors, de part &
d'autre, le combat s'engagea vivement. Les Editeurs chercherent à
se justifier du reproche qu'on leur avoit fait. L'ouvrage parloit contre
eux, ainsi ils ne purent convaincre. Néanmoins le tems, les amis,
les raisons, les protecteurs appaiserent cette querelle, & les Encyclopédistes
triomphans se réunirent & se remirent à l'ouvrage en 1754.
Cette victoire engagea d'autres Critiques à se réunir aux
Journalistes de Trévoux. La querelle devint plus vive, & pour
en soutenir la chaleur, on inonda le public d'ouvrages furieux contre l'Encyclopédie
& contre tous ceux qui avaient coopéré au grand oeuvre.
M. Abraham-Joseph Chaumeix se montra des plus courageux par le nombre de
volumes, qui lui méritèrent le titre de convulsionnaire,
par ceux qu'on appelle philosophes. Cette épithète donne une
idée de sa critique. Cependant ses partisans convinrent qu'il s'y
étoit mal pris, quoiqu'il eut relevé avec succès, bien
des fautes dans cet ouvrage que l'on doit regarder plutôt comme un
monument de la présomption, de l'orgueil & de l'ignorance de
notre siécle, que celui de ses vertus & de ses talens. Mais lorsque
tous les Peuples y applaudissent, qu'aux écarts près, ils
cherchent à se l'approprier en l'imitant, lorsqu'ils envient l'honneur
que la Littérature Françoise en a retiré, lorsque l'accueil
a été général, pour compléter ce Livre
précieux, doit-on être surpris qu'on ne souscrive pas à
ce jugement?
Le Parlement ayant joint ses Arrêts aux écrits des Anti-Encyclopédistes,
on peut dire que l'ouvrage n'est pas sans tache, d'autant qu'en I757 le
Privilege fut révoqué. Ce fut un triomphe complet pour les
Anti-Encyclopédistes, qui, infatigables, firent tous leurs efforts,
pour que la victoire leur restât. Il n'y a gueres d'années
qu'il n'ait paru des critiques contre ce grand ouvrage, & des Satyres
contre ceux qui croyoient avoir mieux mérité de leurs contemporains,
en leur consacrant leurs veilles & leurs travaux. Sans prétendre
justifier ce qui est blâmable, qui n'est soulevé, en voyant
l'injustice des Censeurs & leur acharnement, pour décrier un
ouvrage qui, malgré eux, passera à la Postérité?
Ont-ils cru réussir pour décrier l'ouvrage, de parler des
Auteurs avec le dernier mépris? Il y a en effet une distiction à
faire entre eux; la différence même qui s'y trouve, a empêché
le point de perfection dont l'ouvrage étoit susceptible. Mais que
pensera-t-on des inférieurs, des subordonnés, en voyant les
Maîtres traités ignominieusement? Voici leurs portraits.
"M. Diderot est connu par excellence pour avoir été
le dessinateur de l'Encyclopédie, l'enrôleur des ouvriers,
& l'ordonnateur des travaux. On peut dire, après une foule de
critiques, que cet ouvrage n'a été pour lui qu'un enfant
adoptif, dont Bacon & Chambert ne l'avoient pas fait légataire.
L'excellent Prospectus,
qui 1'annonçoit avec tant de pompe, n'a produit,
comme la caverne d'Eole, que du vent, du bruit & du désordre.
La plûpart des articles de ce Dictionnaire informe, auxquels on a
mis le nom de M. Diderot, ne sont que la compilation de quelques ouvrages
médiocres qu'il n'a fait qu'altérer & abréger.
Auteur plus prôné, que sçavant; plus sçavant qu'homme
d'esprit; plus homme d'esprit, que de génie; écrivain incorrect,
traducteur infidele; métaphysicien hardi; moraliste dangereux; mauvais
géométre; physicien médiocre; philosophe enthousiaste;
littérateur enfin, qui a fait beaucoup d'ouvrages, sans qu'on puisse
dire que nous ayons de lui un bon livre."
On convient néanmoins que rien n'étoit plus fait pour produire
un excellent ouvrage, que le discours de M. d'Alembert, pour servir de Prospectus
à l'Encyclopédie, mais il a eu, dit-on, la douleur d'avoir
contribué par un bel ouvrage, à faire naître de fausses
espérances.... Mais comment a-t-il pu faire un bon ouvrage? lui
de qui le même Critique dit, «qu'on ne peut le regarder comme
bon géomètre, que parmi ceux qui n'ont pas eu le génie
de l'invention. Que s'il lui reste quelque réputation en cette qualité,
ce n'est que dans les Provinces, dans quelques Pays septentrionaux: qu'on
a tort de placer parmi nos bons Littérateurs un métaphysicien,
dont les écrits sont obscurs, entortillés, dont le style
est inégal, tantôt foible, tantôt plein de morgue, &
presque toujours froid & bourgeois; un Ecrivain qui n'a mis sous les
yeux du Lecteur, que le contraste qui résulte de la médiocrité
de ses productions, & du ton de mépris qu'il affecte dans toutes
les occasions, pour ce qu'il appelle le bas peuple des Poëtes, des
Orateurs, des Historiens. Aussi, sans doute, ce n'est pas sur ses
productions Littéraires qu'il fonde sa réputation. Sera-ce
par le modele de cette République, dont M. d'Alembert aurait pu être
le Platon, si les gens de Lettres pouvoient se résoudre à
réduire ces avis en pratique? Mais la destinée de ce Littérateur,
est de proposer des félicités qui ne se réalisent pas.»
L'Auteur de ce portrait ne le prouve que trop. Il ne veut pas sans doute
être du nombre de ceux qui rougissent de voir subsister parmi les
Littérateurs, ces rivalités malignes, ces basses jalousies,
ces cabales iniques qui avilissent les talens, & révoltent l'honnêteté.
On proscriroit ces bureaux d'esprit singuliers, où l'on anathématise
les meilleurs ouvrages, quoiqu'on ne puisse s'en dissimuler le mérite;
où l'on encense la médiocrité. On auroit la douce joie
de voir couler le lait & le miel à côté de l'hypocrene,
de pouvoir cueillir les fruits du sacré Vallon, sans redouter ceux
de la Discorde.
Est-ce pour la faire taire, que le même Aristarque a
dit, «que dès
qu'il s'agiroit de Tragédies, de Pastorales Lyriques, de Poësies
légères, M. Marmontel ne figureroit jamais parmi les bons
Poëtes de notre Nation; que si l'Opéra bouffon est plus de son
genre, c'est parce que son esprit est précisément fait pour
les bagatelles; que si, comme Poëte, il disserte, c'est pour n'avoir
raison que dans les choses dites & prouvées avant lui, &
pour s'égarer en avançant des nouveautés paradoxales,
que personne n'a été tenté d'adopter. Traducteur, il
ne fait que montrer les défauts de l'original, sans en faire conno"tre
le mérite. Cependant après tous les grands essais auxquels
il s'est attaché, on aura peine à croire que le genre, en
quoi il puisse servir de modele, se réduifé à des
Contes, où il peut occuper agréablement l'oisiveté,
sans cependant lui donner la gloire de la suppression des dit-il,
répondit-il,
dont l'invention seroit plutôt due à Rabelais, à l'Auteur du
moyen de parvenir, qui en ont fait usage bien avant lui; les articles qu'il
a faits pour l'Encyclopédie, & les critiques qu'ils lui ont
mérité,
ainsi que Bélisaire, donnent l'espérance qu'il se guérira
de la manie d'être théologue. Veut-il se montrer généreux?
(la voix des pauvres) sa muse n'est pas heureuse à seconder les transports
de sa générosité. Ses Vers sont prosaïques, boursoufflés,
le plus souvent d'une expression assez pauvre, & peu propre à
produire un grand effet. Il a fallu être Poëte bien médiocre,
pour n'avoir pas réussi avec un pareil sujet, qui était l'événement
de l'incendie de l'Hôtel-Dieu, du 30 Décembre 1772».
M. Chesneau du Marsais fut mieux traité, on va juger pourquoi, de
même que M. de Jaucourt.
Les articles de Grammaire qui se trouvent dans les premiers volumes de l'Encyclopédie
sont de M. du Marsais, & ne font que mieux appercevoir la maigreur &
la foiblesse de ceux des volumes suivans.
De Jaucourt, Ecrivain laborieux, après avoir donné beaucoup
d'Ouvrages, se livra tout entier à l'Encyclopédie: on peut
dire que les deux tiers de cette immense compilation ont été
fournis par lui seul; ce n'est pas qu'il ait tiré tout de son propre
fonds; la vie d'un homme ne suffiroit pas pour produire une si grande abondance
d'idées & de préceptes sur tant de matieres différentes;
mais on doit lui savoir gré d'avoir soutenu si courageusement la
fatigue & le dégoût des recherches; il eût encore
ajouté à sa gloire en se rendant plus sévere dans le
choix des matériaux, & en indiquant les sources où il
les a puisés. A sa louange, l'esprit philosophique ne l'a jamais
entraîné dans aucuns de ces démêlés où
la philosophie de notre siécle a si fort prouvé combien elle
était éloignée de la véritable philosophie.
Il auroit même, dit-on, à se plaindre de l'ingratitude des
Philosophes Encyclopédiques, s'il eût attendu de la reconnoissance
de leur part. L'expérience l'a sans doute éclairé sur
les principes de ces Messieurs.
On pense bien que M. Fréron ne fut pas simple spectateur dans la
querelle, & de quel côté se rangea celui à qui
on fait dire
que M. Diderot qui a tant écrit n'a pas encore fait un bon Livre;
que M. d'Alembert, Traducteur de plusieurs morceaux de Tacite, n'entend
pas le Latin; que ses mélanges de Littérature, si estimés
de tous ses amis, sont écrits avec sécheresse & avec froideur;
que de tous les Ouvrages de M. Marmontel, on ne lit plus que quelques-uns
de ses Contes; que M. Thomas est moins éloquent que boursoufflé,
plus compilateur & copiste que penseur & original; que M. de la
Harpe, qui a traduit Suétone, a besoin d'étudier encore la
Langue des Césars; que les extraits qu'il fournit au Mercure sont
plus apprêtés que savans, que son égoïsme enfin
le rend d'abord insupportable & ensuite ridicule; que les Comédies
de M. de Voltaire n'ont d'autre mérite que celui de la versification,
que ses Tragédies pour la plupart sont médiocres.
Au reste, malgré cet amas de critiques, de Satyres, sous lequel on
tâchoit d'étouffer l'Encyclopédie, il y en avoit &
en grand nombre qui pensoient que son plus grand défaut étoit
de n'être point achevée; le voeu général, les
Souscripteurs, les Libraires, faisoient connoître leurs desirs; les
Libraires sur-tout paroissoient jaloux d'acquitter leurs engagemens pécuniaires;
à cet effet ils redoublerent leurs efforts pour
obtenir une tolérance
qui les mît en état de remplir le voeu général:
ils l'obtinrent enfin. En 1766, un prétendu Libraire étranger
ayant imprimé dans le silence les manuscrits qui lui avoient été
cédés, en annonça la publication. On s'empressa de
jouir du fruit de tant d'années d'attente. L'on peut dire que la
critique n'aurait plus osé se faire entendre, si M. Luneau de Boisgermain
ne l'eût ranimée par le procès qu'il intenta aux Libraires
de l'Encyclopédie, moins par l'intérêt pécuniaire,
puisqu'il ne répétoit pour lui que 198 liv., que pour venger
les Gens de Lettres de l'oppression des Tyrans Typographiques qu'ils font
vivre par leur esprit.
Ce qu'il y eut de singulier, c'est que M. Diderot se trouva du nombre des
Censeurs de l'Encyclopédie; sa Critique est le meilleur Ouvrage qui
ait paru, pour faire connoître que celui dont il avoit donné
le plan étoit susceptible d'une plus grande perfection; qu'on pouvoit
se rendre propres les découvertes des autres, en y ajoutant des traits
de lumiere qui auraient servi à les faire valoir; que si jusqu'alors
il se fût trouvé un Censeur connoisseur & impartial, il
en auroit connu les vrais défauts & les auroit pu relever sans
soulever le Public contre lui, parce qu'on n'auroit vu en lui qu'un homme
estimable qui ne cherche qu'à éclairer la Littérature,
& à persuader que le goût & les Lettres sont intéressés
à établir une espece d'ostracisme; mais il faudrait que ceux
qui le composeroient eussent un privilége exclusif qui les autorisât
à n'y admettre que ceux qui y seroient conduits par un véritable
amour de l'humanité, pour en exclure ceux qui ne sçavent entasser
que calomnies sur calomnies, qui, pour se rendre plaisans, chargent leurs
critiques d'invectives, d'injures grossieres, qu'ils nous donnent pour de
précieuses saillies, qui empoisonnent & altèrent tous
les faits qui convertissent en poison tout ce qui passe par la distillation
de leur plume, qui, bizares, vindicatifs, orgueilleux, égoïstes,
pleins de morgue, & qui, ne déployant jamais leurs talens qu'aux
dépens de la vérité, de la décence, de l'honnêteté
& de la raison, cherchent plutôt à effrayer par les mots
d'impie, d'Athée, d'âne, de sot
par bé, mol & par
bé quarre, de croquant, de cuistre, de polisson,
de roué, de fripon, de maraut, de Sodomite,
de scélérat, de Sicophante,
d'insecte, de chenille, de vermisseau, de
belître, de veau, qu'à
porter dans les ames raisonnables le plaisir avec la conviction.