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OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS.
* Le mot Encyclopedie signifie enchaînement des Sciences. Il est composé de έν en, de Xύχλος cercle, & de παιδεία institution ou science. Ceux qui ont prétendu que cet Ouvrage étoit impossible, ne connoissoient pas, selon toute apparence, le passage qui suit ; il est du Chancelier Bacon. De impossibilitate ita statuo; ea omnia possibilia, & praestabilia censenda, quae ab aliquibus perfici possunt, licet non a quibusvis; & quae a multis conjunctim, licet non ab uno; & quae in successione saeculorum, licet non eodem aevo; & denique quae MULTORUM cura & sumptu, licet non opibus & industria singulorum. Bac. lib. 2. de Aug. Scient. cap. 1. p. 103.
L'OUVRAGE que nous annonçons, n'est plus un Ouvrage à faire. Le Manuscrit & les Desseins en sont complets. Nous pouvons assurer qu'il n'aura pas moins de huit Volumes, & de six cens Planches, & que les Volumes se succéderont sans interruption.
APRÈS AVOIR INFORMÉ le Public de l'état présent de l'ENCYCLOPÉDIE, & de la diligence que nous apporterons à la publier ; il est de notre devoir de le satisfaire sur la nature de cet Ouvrage, & sur les moyens que nous avons pris pour l'exécution. C'est ce que nous allons exposer avec le moins d'ostentation qu'il nous sera possible.
On ne peut disconvenir que depuis le renouvellement des Lettres, parmi nous, on ne doive en partie aux Dictionnaires les lumieres générales qui se sont répandues dans la société, & ce germe de Science qui dispose insensiblement les esprits à des connoissances plus profondes. Combien donc n'importoit-il pas d'avoir en ce genre un Livre qu'on pût consulter sur toutes les matieres, & qui servît autant à guider ceux qui se sentiroient le courage de travailler à l'instruction des autres, qu'à éclairer ceux qui ne s'instruisent que pour eux-mêmes.
C'est un avantage que nous nous sommes proposé ; mais ce n'est pas le seul. En reduisant sous la forme de Dictionnaire tout ce qui concerne les Sciences & les Arts, il s'agissoit encore de faire sentir les secours mutuels qu'ils se prêtent; d'user de ces secours pour en rendre les principes plus sûrs & leurs conséquences plus claires ; d'indiquer les liaisons éloignées ou prochaines des êtres qui composent la Nature, & qui ont occupé les hommes ; de montrer par l'entrelacement des racines & par celui des branches, l'impossibilité de bien connoître quelques parties de ce tout, sans remonter ou descendre à beaucoup d'autres ; de former un tableau général des efforts de l'esprit humain dans tous les genres & dans tous les siecles ; de présenter ces objets avec clarté; de donner à chacun d'eux l'étendue convenable ; & de vérifier, s'il étoit possible, notre Épigraphe par notre succès :
Tantum series juncturaque pollet, Tantum de medio sumptis accedit honoris! Horat. Art. poet.
JUSQU'ICI PERSONNE n'avoit conçu un Ouvrage aussi grand; ou du moins personne ne l'avoit exécuté. LEIBNITZ, de tous les Sçavans le plus capable d'en sentir les difficultés, desiroit qu'on les surmontât. Cependant on avoit des Encyclopédies ; & Leibnitz ne l'ignoroit pas, lorsqu'il en demandoit une.
La plûpart de ces Ouvrages parurent avant le siecle dernier, & ne furent pas tout-à-fait méprisés. On trouva que s'ils n'annonçoient pas beaucoup de génie, ils marquoient au moins du travail & des connoissances. Mais que seroit-ce pour nous que ces Encyclopédies ? Quel progrès n'a-t-on pas fait depuis dans les Sciences & dans les Arts ? Combien de vérités découvertes aujourd'hui, qu'on n'entrevoyoit pas alors ? La vraie Philosophie étoit au berceau ; la Géométrie de l'Infini n'étoit pas encore ; la Physique expérimentale se montroit à peine ; il n'y avoit point de Dialectique ; les loix de la saine Critique étoient entiérement ignorées. DESCARTES, BOYLE, HUYGENS, NEWTON, LEIBNITZ, BERNOULLI, LOCKE, BAYLE, PASCAL, CORNEILLE, RACINE, BOURDALOUE, BOSSUET, &c. ou n'existoient pas, ou n'avoient pas écrit. L'esprit de recherche & d'émulation n'animoit pas les Sçavans : un autre esprit moins fécond peut-être, mais plus rare, celui de justesse & de méthode, ne s'étoit point soumis les différentes parties de la Littérature; & les Académies, dont les travaux ont porté si loin les Sciences & les Arts, n'étoient pas instituées.
SI LES DÉCOUVERTES des grands Hommes & des Compagnies sçavantes, dont nous venons de parler, offrirent dans la suite de puissans secours pour former un Dictionnaire encyclopédique ; il faut avouer aussi que l'augmentation prodigieuse des matieres rendit à d'autres égards un tel Ouvrage beaucoup plus difficile. Mais ce n'est point à nous à juger si les successeurs des premiers Encyclopédistes ont été hardis ou présomptueux ; & nous les laisserions tous jouir de leur réputation, sans en excepter EPHRAIM CHAMBERS, le plus connu d'entre eux, si nous n'avions des raisons particulieres de peser le mérite de celui-ci.
L'Encyclopédie de Chambers dont on a publié à Londres un si grand nombre d'Editions rapides ; cette Encyclopédie qu'on vient de traduire tout récemment en Italien, & qui de notre aveu mérite en Angleterre & chez l'Etranger les honneurs qu'on lui rend, n'eût peut-être jamais été faite; si avant qu'elle parut en Anglois, nous n'avions eu dans notre Langue des ouvrages où Chambers a puisé sans mesure & sans choix la plus grande partie des choses dont il a composé son Dictionnaire. Qu'en auroient donc pensé nos François sur une Traduction pure & simple ? Il eût excité l'indignation des Sçavans & le cri du Public, à qui on n'eût présenté sous un titre fastueux & nouveau, que des richesses qu'il possédoit depuis long-tems.
Nous ne refusons point à cet Auteur la justice qui lui est dûe. Il a bien senti le mérite de l'ordre encyclopédique, ou de la chaîne par laquelle on peut descendre sans interruption des premiers principes d'une Science ou d'un Art jusqu'à ses conséquences les plus éloignées, & remonter de ses conséquences les plus éloignées jusqu'à ses premiers principes ; passer imperceptiblement de cette Science ou de cet Art à un autre ; &, s'il est permis de s'exprimer ainsi, faire sans s'égarer le tour du Monde Littéraire. Nous convenons avec lui que le plan
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& le dessein de son Dictionnaire sont excellens; & que si l'éxecution en étoit portée à un certain degré de perfection, il contribueroit plus lui seul aux progrès de la vraie Science que la moitié des Livres connus. Mais nous ne pouvons nous empêcher de voir combien il est demeuré loin de ce degré de perfection. En effet, conçoit-on que tout ce qui concerne les Sciences & les Arts puisse être renfermé en deux Volumes in-folio ? La Nomenclature d'une matiere aussi étendue en fourniroit un elle seule, si elle étoit complette. Combien donc ne doit-il pas y avoir dans son Ouvrage d'articles omis ou tronqués ?
Ce ne sont point ici des conjectures. La Traduction entiere du Chambers nous a passé sous les yeux, & nous avons trouvé une multitude prodigieuse de choses à desirer dans les SCIENCES ; dans les ARTS LIBÉRAUX, un mot où il falloit des pages ; & tout à suppléer dans les Arts méchaniques. Chambers a lu des Livres, mais il n'a gueres vû d'Artistes ; cependant il y a beaucoup de choses qu'on n'apprend que dans les Ateliers. D'ailleurs il n'en est pas ici des omissions comme dans un autre ouvrage. L'Encyclopédie, à la rigueur, n'en permet aucune. Un article omis dans un Dictionnaire commun, le rend seulement imparfait. Dans une Encyclopédie, il rompt l'enchaînement, & nuit à la forme & au fond ; & il a fallu tout l'art d'Ephraïm Chambers pour pallier ce défaut. Il n'est donc pas à présumer qu'un ouvrage aussi imparfait pour tout Lecteur, & si peu neuf pour le Lecteur François, eût trouvé beaucoup d'admirateurs parmi nous.
Mais sans nous étendre davantage sur les imperfections de l'Encyclopédie Angloise, nous annonçons que l'Ouvrage de Chambers n'est point la base sur laquelle nous avons élevé ; que nous avons refait un grand nombre de ses articles, & que nous n'avons employé presqu'aucun des autres sans addition, correction, ou retranchement; qu'il rentre simplement dans la classe des Auteurs que nous avons particuliérement consultés, & que la disposition générale est la seule chose qui soit commune entre notre Ouvrage & le sien.
NOUS AVONS SENTI avec l'Auteur Anglois, que le premier pas que nous avions à faire vers l'exécution raisonnée & bien entendue d'une Encyclopédie, c'étoit de former un Arbre Généalogique de toutes les Sciences & de tous les Arts, qui marquât l'origine de chaque Branche de nos connoissances, les liaisons qu'elles ont entr'elles & avec la Tige commune, & qui nous servît à rappeller les différens articles à leurs chefs. Ce n'étoit pas une chose facile. Il s'agissoit de renfermer en une page le canevas d'un Ouvrage qui ne se peut exécuter qu'en plusieurs Volumes in-folio, & qui doit contenir un jour toutes les connoissances des hommes.
Cet Arbre de la connoissance humaine pouvoit être formé de plusieurs manieres, soit en rapportant aux diverses facultés de notre Ame nos différentes connoissances, soit en les rapportant aux êtres qu'elles ont pour objet. Mais l'embarras étoit d'autant plus grand, qu'il y avoit plus d'arbitraire. Et combien ne devoit-il pas y en avoir ? La Nature ne nous offre que des choses particulieres, infinies en nombre & sans aucune division fixe & déterminée. Tout s'y succede par des nuances insensibles. Et sur cette mer d'objets qui nous environne, s'il en paroît quelques-uns, comme des pointes de rochers, qui semblent percer la surface & dominer les autres, ils ne doivent cet avantage qu'à des systêmes particuliers, qu'à des conventions vagues, & qu'à certains événemens étrangers à l'Arrangement Physique des êtres, & aux vraies institutions de la Philosophie. Si l'on ne pouvoit se flatter d'assujettir l'Histoire seule de la nature à une distribution qui embrassât tout & qui convînt à tout le monde, ce que MM. de Buffon & d'Aubenton n'ont pas avancé sans fondement ; combien n'étions-nous pas autorisés dans un sujet beaucoup plus étendu, à nous en tenir, comme eux, à quelque méthode satisfaisante pour les bons esprits qui sentent ce que la nature des choses comporte ou ne comporte pas. On trouvera à la fin de ce Projet cet Arbre de la connoissance humaine, avec l'enchaînement des idées qui nous ont dirigés dans cette vaste opération. Si nous en sommes sortis avec succès, nous en aurons principalement obligation au Chancelier Bacon, qui jettoit le plan d'un Dictionnaire universel des Sciences & des Arts, en un tems où il n'y avoit, pour ainsi dire, ni Sciences ni Arts. Ce génie extraordinaire, dans l'impossibilité de faire l'histoire de ce qu'on sçavoit, faisoit celle de ce qu'il falloit apprendre.
C'est de nos facultés que nous avons déduit nos connoissances ; l'Histoire nous est venue de la Mémoire ; la Philosophie, de la Raison ; & la Poësie, de l'Imagination; distribution féconde à laquelle la Théologie même se prête : car dans cette Science, les faits sont de l'Histoire & se rapportent à la Mémoire, sans même en excepter les Prophéties qui ne sont qu'une espece d'histoire où le récit a précédé l'évenement: les Mysteres, les Dogmes & les Préceptes sont de Philosophie éternelle & de Raison divine; & les Paraboles, sorte de Poësie allégorique, sont d'Imagination inspirée. Aussi-tôt nous avons vû nos connoissances découler les unes des autres; l'Histoire s'est distribuée en ecclésiastique, civile, naturelle, littéraire, &c. La Philosophie, en science de Dieu, de l'Homme, de la Nature, &c. La Poësie, en narrative, dramatique, allégorique, &c. De-là, Théologie, Histoire naturelle, Physique, Métaphysique, Mathématiques, &c. Météorologie, Hydrologie, &c. Méchanique, Astronomie, Optique, &c. en un mot, une multitude innombrable de rameaux & de branches dont la science des axiomes, ou des propositions évidentes par elles-mêmes, doit être regardée, dans l'ordre synthétique, comme le Tronc commun.
A L'ASPECT D'UNE MATIERE aussi étendue, il n'est personne qui ne fasse avec nous la réflexion suivante. L'expérience journaliere n'apprend que trop combien il est difficile à un Auteur de traiter profondément de la Science ou de l'Art dont il a fait toute sa vie une étude particuliere; il ne faut donc pas être surpris qu'un homme ait échoué dans le projet de traiter de toutes les Sciences & de tous les Arts. Ce qui doit étonner, c'est qu'un homme ait été assez hardi & assez borné pour le tenter seul. Celui qui s'annonce pour sçavoir tout, montre seulement qu'il ignore les limites de l'esprit humain.
Nous avons inféré de-là que pour soutenir un poids aussi grand que celui que nous avions à porter, il étoit nécessaire de le partager ; & sur le champ nous avons jetté les yeux sur un nombre suffisant de Sçavans & d'Artistes ; d'Artistes habiles & connus par leurs talens ; de Sçavans exercés dans les genres particuliers qu'on avoit à confier à leur travail. Nous avons distribué à chacun la partie qui lui convenoit ; les Mathématiques au Mathématicien ; les Fortifications à l'Ingénieur ; la Chimie au Chimiste ; l'Histoire ancienne & moderne à un homme versé dans ces deux parties ; la Grammaire à un Auteur connu par l'esprit philosophique qui regne dans ses Ouvrages ; la Musique, la Marine, l'Architecture, la Peinture, la Médecine, l'Histoire naturelle, la Chirurgie, le Jardinage, les Arts libéraux, les principaux d'entre les Arts méchaniques, à des hommes qui ont donné des preuves d'habileté dans ces différens genres : ainsi chacun n'ayant été occupé que de ce qu'il entendoit, a été en état de juger sainement de ce qu'en ont écrit les Anciens & les Modernes, & d'ajouter aux secours qu'il en a tirés, des connoissances puisées dans son propre fonds : personne ne s'est avancé sur le terrein d'autrui, ni ne s'est mêlé de ce qu'il n'a peut-être jamais appris ; & nous avons eu plus de méthode, de certitude, d'étendue, & de détails qu'il ne peut y en avoir dans la plûpart des Lexicographes. Il est vrai que ce plan a réduit le mérite d'Éditeur à peu de chose ; mais il a beaucoup ajouté à la perfection de l'Ouvrage; & nous penserons toujours nous être acquis assez de gloire, si le Public est satisfait.
La seule partie de notre travail, qui suppose quelqu'intelligence, c'est de remplir les vuides qui séparent deux
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Sciences ou deux Arts, & de renouer la chaîne dans les occasions où nos Collegues se sont reposés les uns sur les autres de certains articles qui paroissant appartenir également à plusieurs d'entre eux, n'ont été faits par aucun. Mais afin que la personne chargée d'une partie, ne soit point comptable des fautes qui pourroient se glisser dans des morceaux surajoutes, nous aurons l'attention de distinguer ces morceaux par une étoile. Nous tiendrons exactement la parole que nous avons donnée ; le travail d'autrui sera sacré pour nous; & nous ne manquerons pas de consulter l'Auteur, s'il arrive dans le cours de l'édition que son ouvrage nous paroisse demander quelque changement considérable.
Les différentes mains que nous avons employées ont apposé à chaque article, comme le sceau de leur style particulier, du style propre à la matiere & à l'objet d'une partie. Un procédé de Chimie ne sera point du même ton que la description des Bains & des Théâtres anciens ; ni la manoeuvre d'un Serrurier, exposée comme les recherches d'un Théologien sur un point de dogme ou de discipline. Chaque chose a son coloris, & ce seroit confondre les genres que de les réduire à une certaine uniformité. La pureté du style, la clarté, & la précision sont les seules qualités qui puissent être communes à tous les articles, & nous espérons qu'on les y remarquera. S'en permettre davantage, ce seroit s'exposer à la monotonie & au dégoût qui sont presqu'inséparables des Ouvrages étendus, & que l'extrême variété des matieres doit écarter de celui-ci.
NOUS EN AVONS DIT ASSEZ pour informer le Public de l'état présent d'une entreprise à laquelle il a paru s'intéresser ; des avantages généraux qui en résulteront, si elle est bien exécutée; du bon ou du mauvais succès de ceux qui l'ont tentée avant nous; de l'étendue de son objet ; de l'ordre auquel nous nous sommes assujettis; de la distribution qu'on a faite de chaque partie, & de nos fonctions d'ÉDITEURS: nous allons maintenant passer aux principaux détails de l'exécution.
Toute la matière de l'Encyclopédie peut se réduire à trois chefs ; les SCIENCES, les ARTS LIBÉRAUX, & les ARTS MÉCHANIQUES. Nous commencerons par ce qui concerne les Sciences, & les Arts libéraux, & nous finirons par les Arts méchaniques.
On a beaucoup écrit sur les Sciences. Les traités sur les Arts libéraux se sont multipliés sans nombre ; la République des Lettres en est inondée. Mais combien peu donnent les vrais principes? Combien d'autres les étouffent dans une affluence de paroles, ou les perdent dans des ténebres affectées ? Combien dont l'autorité en impose, & chez qui une erreur placée à côté d'une vérité, ou décrédite celle-ci, ou s'accrédite elle-même à la faveur de ce voisinage ? On eût mieux fait sans doute d'écrire moins & d'écrire mieux.
Entre tous les Écrivains, on a donné la préférence à ceux qui sont généralement reconnus pour les meilleurs. C'est de là que les principes ont été tirés. A leur exposition claire & précise, on a joint des exemples ou des autorités constamment reçues. La coutume vulgaire est de renvoyer aux sources, ou de citer d'une maniere vague, souvent infidelle, & presque toujours confuse, ensorte que dans les différentes parties dont un article est composé, on ne sçait exactement quel Auteur on doit consulter sur tel ou tel point, ou s'il faut les consulter tous, ce qui rend la vérification longue & pénible. On s'est attaché, autant qu'il a été possible, à éviter cet inconvénient, en citant dans le corps même des articles, les Auteurs sur le témoignage desquels on s'est appuyé ; rapportant leur propre texte, quand il est nécessaire ; comparant partout les opinions; balançant les raisons ; proposant des moyens de douter ou de sortir de doute ; décidant même quelquefois ; détruisant autant qu'il est en nous les erreurs & les préjugés ; & tâchant surtout de ne les pas multiplier & de ne les point perpétuer, en protégeant sans examen des sentimens rejettés, ou en proscrivant sans raison des opinions reçues. Nous n'avons pas craint de nous étendre, quand l'intérêt de la vérité & l'importance de la matiere le demandoient, sacrifiant l'agrément toutes les fois qu'il n'a pu s'accorder avec l'instruction.
L'empire des Sciences & des Arts est un monde éloigné du Vulgaire, où l'on fait tous les jours des découvertes, mais dont on a bien des relations fabuleuses. Il étoit important d'assurer les vraies, de prévénir sur les fausses, de fixer des points d'où l'on partît, & de faciliter ainsi la recherche de ce qui reste à trouver. On ne cite des faits; on ne compare des expériences ; on n'imagine des méthodes, que pour exciter le génie à s'ouvrir des routes ignorées, & à s'avancer à des découvertes nouvelles, en regardant comme le premier pas celui où les grands hommes ont terminé leur course. C'est aussi le but que nous nous sommes proposé, en alliant aux principes des Sciences & des Arts libéraux, l'histoire de leur origine & de leurs progrès successifs ; & si nous l'avons atteint, de bons esprits ne s'occuperont plus à chercher ce qu'on sçavoit avant eux : il sera facile dans les productions à venir sur les Sciences & sur les Arts libéraux, de démêler ce que les inventeurs ont tiré de leur fonds, d'avec ce qu'ils ont emprunté de leurs prédécesseurs : on apprétiera les travaux ; & ces hommes avides de réputation & dépourvus de génie, qui publient hardiment de vieux systèmes comme des idées nouvelles, seront bientôt démasqués. Mais, pour parvenir à ces avantages, il a fallu donner à chaque matiere une étendue convenable, insister sur l'essentiel, négliger les minuties, & éviter un défaut assez commun, celui de s'appesantir sur ce qui ne demande qu'un mot, de prouver ce qu'on ne conteste point, & de commenter ce qui est clair. Nous n'avons ni épargné ni prodigué les éclaircissemens. On jugera qu'ils étoient nécessaires partout où nous en avons mis, & qu'ils auroient été superflus où l'on n'en trouvera pas. Nous nous sommes encore bien gardés d'accumuler les preuves où nous avons cru qu'un seul raisonnement solide suffisoit, ne les multipliant que dans les occasions où leur force dépendoit de leur nombre & de leur concert.
CE SONT-LÀ TOUTES LES PRÉCAUTIONS que nous avions à prendre. Voilà les richesses sur lesquelles nous pouvions compter ; mais il nous en est survenu d'autres que notre entreprise doit, pour ainsi-dire, à sa bonne fortune. Ce sont des Manuscrits qui nous ont été communiqués par des Amateurs, ou fournis par des Sçavans entre lesquels nous nommerons ici M. FORMEY, Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale des Sciences & des Belles-Lettres de Prusse. Cet habile Académicien avoit médité un Dictionnaire, tel à peu près que le nôtre, & il nous a généreusement sacrifié la partie considérable qu'il en avoit exécuté, & dont nous ne manquerons pas de lui faire honneur. Ce sont encore des Recherches, des Observations que chaque Artiste ou Sçavant, chargé d'une partie de notre Dictionnaire, renfermoit dans son cabinet, & qu'il a bien voulu publier par cette voie. De ce nombre seront presque tous les articles de Grammaire générale & particuliere. Nous croyons pouvoir assurer qu'aucun Ouvrage connu ne sera ni aussi riche ni aussi instructif que le nôtre, sur les regles & les usages de la Langue Françoise, & même sur la nature, l'origine & le philosophique des Langues en général. Nous ferons donc part au Public, tant sur les Sciences que sur les Arts libéraux, de plusieurs fonds littéraires dont il n'auroit peut-être jamais eu connoissance.
Mais ce qui ne contribuera gueres moins à la perfection de ces deux branches importantes, ce sont les secours obligeans que nous avons reçus de tous côtés; protection de la part des Grands; accueil & communication de la part de plusieurs Sçavans; Bibliotheques publiques, Cabinets particuliers, Recueils, Portefeuilles, &c. tout nous a été ouvert & par ceux qui cultivent les Lettres, & par ceux qui les aiment. Un peu d'adresse & beaucoup de dépense ont procuré ce qu'on n'a pu obtenir de la pure bienveillance; & les recompenses ont presque toujours calmé ou les inquiétudes réelles ou les allarmes simulées de ceux que nous avions à consulter.
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Nous sommes principalement sensibles aux obligations que nous avons à M. l'Abbé SALLIER, Garde de la Bibliotheque du Roi : aussi n'attendrons-nous pas pour l'en remercier, que nous rendions, soit à nos Collegues, soit aux personnes qui ont pris intérêt à notre Ouvrage, le tribut de louanges & de reconnoissance qui leur est dû. M. l'Abbé Sallier nous a permis, avec cette politesse qui lui est naturelle & qu'animoit encore le plaisir de favoriser une grande entreprise, de choisir dans le riche fonds dont il est dépositaire, tout ce qui pouvoit répandre de la lumiere ou des agrémens sur notre Encyclopédie. On justifie, nous pourrions même dire qu'on honore le choix du Prince, quand on sçait se prêter ainsi à ses vûes. Les Sciences & les Beaux-Arts ne peuvent trop concourir à illustrer par leurs productions le regne d'un Souverain qui les favorise : pour nous, spectateurs de leurs progrès & leurs Historiens, nous nous occuperons seulement à les transmettre à la postérité. Qu'elle dise à l'ouverture de notre Dictionnaire, tel étoit alors l'état des SCIENCES & des BEAUX ARTS. Qu'elle ajoute ses découvertes à celles que nous aurons enregistrées, & que l'Histoire de l'Esprit humain & de ses productions aille d'âge en âge jusqu'aux siecles les plus reculés. Que l'ENCYCLOPÉDIE devienne un Sanctuaire où les connoissances des hommes soient à l'abri des Tems & des Révolutions. Ne serons-nous pas trop flatés d'en avoir posé les fondemens ? Quel avantage n'auroit-ce pas été pour nos peres & pour nous, si les travaux des Peuples anciens, des Égyptiens, des Chaldéens, des Grecs, des Romains, &c. avoient été transmis dans un Ouvrage encyclopédique, qui eût exposé en même tems les vrais principes de leurs Langues ! Faisons donc pour les siecles à venir ce que nous regrettons que les siecles passés n'ayent pas fait pour le nôtre. Nous osons dire que si les Anciens eussent exécuté une Encyclopédie, comme ils ont exécuté tant de grandes choses, & que ce Manuscrit se fût échappé seul de la fameuse Bibliotheque d'Alexandrie, il eût été capable de nous consoler de la perte des autres.
VOILÀ CE QUE NOUS AVIONS à exposer au Public sur les Sciences & les Beaux Arts. La partie des Arts méchaniques ne demandoit ni moins de détails ni moins de soins. Jamais peut-être il ne s'est trouvé tant de difficultés rassemblées, & si peu de secours pour les vaincre. On a trop écrit sur les Sciences : on n'a pas assez bien écrit sur la plupart des Arts libéraux : on n'a presque rien écrit sur les Arts méchaniques ; car qu'est-ce que le peu qu'on en rencontre dans les Auteurs, en comparaison de l'étendue & de la fécondité du sujet ? Entre ceux qui en ont traité, l'un n'étoit pas assez instruit de ce qu'il avoit à dire, & a moins rempli son objet que montré la nécessité d'un meilleur ouvrage : un autre n'a qu'effleuré la matiere, en la traitant plutôt en Grammairien & en homme de Lettres, qu'en Artiste : un troisiéme est à la vérité plus riche & plus ouvrier ; mais il est en même tems si court, que les opérations des Artistes & la description de leurs machines, cette matiere capable de fournir seule des Ouvrages considérables, n'occupe que la très-petite partie du sien. Chambers n'a presque rien ajouté à ce qu'il a traduit de nos Auteurs. Tout nous déterminoit donc à recourir aux Ouvriers.
On s'est adressé aux plus habiles de Paris & du Royaume. On s'est donné la peine d'aller dans leurs Ateliers, de les interroger, d'écrire sous leur dictée, de déveloper leurs pensées, d'en tirer les termes propres à leurs professions, d'en dresser des tables, de les définir, de converser avec ceux dont on avoit obtenu des mémoires, & (précaution presqu'indispensable) de rectifier dans de longs & fréquens entretiens avec les uns, ce que d'autres avoient imparfaitement, obscurément, & quelquefois infidellement expliqué. Il est des Artistes qui sont en même tems gens de Lettres, & nous en pourrions citer ici ; mais le nombre en seroit fort petit : la plûpart de ceux qui exercent les Arts méchaniques, ne les ont embrassés que par nécessité, & n'operent que par instinct. A peine entre mille en trouve-t-on une douzaine en état de s'exprimer avec quelque clarté sur les instrumens qu'ils emploient & sur les ouvrages qu'ils fabriquent. Nous avons vû des Ouvriers qui travailloient depuis quarante années, sans rien connoître à leurs machines. Il nous a fallu exercer avec eux la fonction dont se glorifioit Socrate, la fonction pénible & délicate de faire accoucher les esprits, obstetrix animorum.
Mais il est des métiers si singuliers & des manoeuvres si déliées, qu'à moins de travailler soi-même, de mouvoir une machine de ses propres mains, & de voir l'ouvrage se former sous ses propres yeux, il est difficile d'en parler avec précision. Il a donc fallu plusieurs fois se procurer les machines, les construire, mettre la main à l'oeuvre, se rendre, pour ainsi dire, apprentif, & faire soi-même de mauvais ouvrages pour apprendre aux autres comment on en fait de bons.
C'est ainsi que nous nous sommes convaincus de l'ignorance dans laquelle on est sur la plûpart des objets de la vie, & de la nécessité de sortir de cette ignorance. C'est ainsi que nous nous sommes mis en état de démontrer que l'homme de Lettres qui sçait le plus sa Langue, ne connoît pas la vingtiéme partie des mots ; que, quoique chaque Art ait la sienne, cette Langue est encore bien imparfaite ; que c'est par l'extrême habitude de converser les uns avec les autres, que les Ouvriers s'entendent, & beaucoup plus par le retour des conjonctures que par l'usage des termes. Dans un Atelier, c'est le moment qui parle, & non l'Artiste.
Voici la méthode qu'on a suivie pour chaque Art. On a traité, 1°. de la matiere, des lieux où elle se trouve, de la maniere dont on la prépare, de ses bonnes & mauvaises qualités, de ses différentes especes, des opérations par lesquelles on la fait passer, soit avant que de l'employer, soit en la mettant en oeuvre.
2°. Des principaux ouvrages qu'on en fait, & de la maniere de les faire.
3°. On a donné le nom, la description, & la figure des outils & des machines, par pieces détachées & par pieces assemblées, la coupe des moules & d'autres instrumens, dont il est à propos de connoître l'intérieur, leurs profils, &c.
4°. On a expliqué & représenté la main d'oeuvre & les principales opérations dans une ou plusieurs Planches, où l'on voit tantôt les mains seules de l'Artiste, tantôt l'Artiste entier en action, & travaillant à l'ouvrage le plus important de son Art.
5°. On a recueilli & défini le plus exactement qu'il a été possible les termes propres de l'Art.
MAIS LE PEU D'HABITUDE qu'on a & d'écrire, & de lire des écrits sur les Arts, rend les choses difficiles à expliquer d'une maniere intelligible. De-là naît le besoin de Figures. On pourroit démontrer par mille exemples qu'un Dictionnaire pur & simple de Langue, quelque bien qu'il soit fait, ne peut se passer de Figures, sans tomber dans des définitions obscures ou vagues ; combien donc à plus forte raison ce secours ne nous étoit-il pas nécessaire ? Un coup d'oeil sur l'objet ou sur sa représentation en dit plus qu'une page de discours.
On a envoyé des Dessinateurs dans les Ateliers. On a pris l'esquisse des machines & des outils. On n'a rien omis de ce qui pouvoit les montrer distinctement aux yeux. Dans le cas où une machine mérite des détails par l'importance de son usage & par la multitude de ses parties, on a passé du simple au composé. On a commencé par assembler dans une premiere figure autant d'élémens qu'on en pouvoit appercevoir sans confusion. Dans une seconde figure, on voit les mêmes élémens avec quelques autres. C'est ainsi qu'on a formé successivement la machine la plus compliquée sans aucun embarras ni pour l'esprit ni pour les yeux. Il faut quelquefois remonter de la connoissance de l'ouvrage à celle de la machine, & d'autres fois descendre de la connoissance de la machine à celle de l'ouvrage. On trouvera à l'article ART, des réflexions philosophiques sur les avantages de ces méthodes, & sur les occasions où il est à propos de préferer l'une à l'autre.
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Il y a des notions qui sont communes à presque tous les hommes, & qu'ils ont dans i'esprit avec plus de clarté qu'elles n'en peuvent recevoir du discours. Il y a aussi des objets si familiers qu'il seroit ridicule d'en faire des figures. Les Arts en offrent d'autres si composés qu'on les représenteroit inutilement : dans les deux premiers cas, nous avons supposé que le Lecteur n'étoit pas entiérement dénué de bon sens & d'expérience ; & dans le dernier, nous renvoyons à l'objet même. Il est en tout un juste milieu, & nous avons tâché de ne le pas manquer ici. Un seul Art dont on voudroit tout dire & tout représenter, fourniroit des volumes de discours & de planches. On ne finiroit jamais si l'on se proposoit de rendre en figures tous les états par lesquels passe un morceau de fer avant que d'être transformé en aiguilles. Que le discours suive le procédé de l'Artiste dans le dernier détail ; à la bonne heure. Quant aux Figures, nous les avons restreintes aux mouvemens importans de l'ouvrier, & aux seuls momens de l'opération qu'il est très-facile de peindre & très-difficile d'expliquer. Nous nous en sommes tenus aux circonstances essentielles, à celles dont la représentation, quand elle est bien faite, entraîne nécessairement la connoissance de celles qu'on ne voit pas. Nous n'avons pas voulu ressembler à un homme qui feroit planter des guides à chaque pas dans une route, de crainte que les voyageurs ne s'en écartassent : il suffit qu'il y en ait partout où ils seroient exposés à s'égarer.
Au reste, c'est la main d'oeuvre qui fait l'Artiste, & ce n'est point dans les Livres qu'on peut apprendre à manoeuvrer. L'Artiste rencontrera seulement dans notre Ouvrage des vûes qu'il n'eût peut-être jamais eues, & des observations qu'il n'eût faites qu'après plusieurs années de travail. Nous offrirons au Lecteur studieux ce qu'il eût appris d'un Artiste en le voyant opérer pour satisfaire sa curiosité ; & à l'Artiste, ce qu'il seroit à souhaiter qu'il apprît du Philosophe pour s'avancer à la perfection.
Nous avons distribué dans les Sciences & dans les Arts libéraux, les Figures & les Planches, selon le même esprit & avec la même oeconomie que dans les Arts méchaniques ; cependant nous n'avons pu réduire le nombre des unes & des autres, à moins de six cens. Les deux Volumes qu'elles formeront ne seront pas la partie la moins intéressante de l'Ouvrage, par l'attention que nous aurons de placer au verso d'une Planche, l'explication de celle qui sera vis-à-vis, avec des renvois aux endroits du Dictionnaire auxquels chaque Figure sera relative. Un Lecteur ouvre un volume de Planches ; il apperçoit une machine qui pique sa curiosité : c'est, si l'on veut, un Moulin à poudre, à papier, à soie, à sucre, &c. il lira vis-à-vis, fig. 50, 51 ou 60, &c. Moulin à poudre, Moulin à sucre, Moulin à papier, Moulin à soie, &c. il trouvera ensuite une explication succincte de ces machines avec les renvois aux articles, Poudre, Papier, Sucre, Soie, &c.
La Gravure répondra à la perfection des Desseins, & nous espérons que les Planches de notre Encyclopédie surpasseront celles du Dictionnaire Anglois autant en beauté qu'elles les surpassent en nombre. Chambers a trente planches. L'ancien projet en promettoit cent vingt ; & nous en donnerons six cens au moins. Il n'est pas étonnant que la carriere se soit étendue sous nos pas. Elle est immense ; & nous ne nous flatons pas de l'avoir parcourue.
MALGRÉ LES SECOURS & les travaux dont nous venons de rendre compte, nous déclarons sans peine, au nom de nos Collegues & au nôtre, qu'on nous trouvera toujours disposés à convenir de notre insuffisance, & à profiter des lumieres qui nous seront communiquées. Nous les recevrons avec reconnoissance, & nous nous y conformerons avec docilité ; tant nous sommes persuadés que la perfection derniere d'une Encyclopédie est l'ouvrage des siecles. Il a fallu des siecles pour commencer ; il en faudra pour finir ; mais A LA POSTÉRITÉ, ET A L'ESTRE QUI NE MEURT POINT.
Nous aurons cependant la satisfaction intérieure de n'avoir rien épargné pour réussir : une des preuves que nous en apporterons, c'est qu'il y a des parties dans les Sciences & dans les Arts qu'on a refaites jusqu'à trois fois. Nous ne pouvons nous dispenser de dire à l'honneur des LIBRAIRES associés, qu'ils n'ont jamais refusé de se prêter à ce qui pouvoit contribuer à les perfectionner toutes. Il faut espérer que le concours d'un aussi grand nombre de circonstances, telles que les lumieres de ceux qui ont travaillé à l'Ouvrage, les secours des personnes qui s'y sont intéressées, & l'émulation des Editeurs & des Libraires, produira quelque bon effet.
DE TOUT CE QUI PRÉCEDE, il s'ensuit que dans l'Ouvrage que nous annonçons, on a traité des Sciences & des Arts, de maniere qu'on n'en suppose aucune connoissance préliminaire ; qu'on y expose ce qu'il importe de sçavoir sur chaque matiere ; que les articles s'expliquent les uns par les autres ; & que par conséquent la difficulté de la nomenclature n'embarrasse nulle part. D'où nous inférerons que cet Ouvrage pourroit tenir lieu de Bibliotheque dans tous les genres à un homme du monde ; & dans tous les genres, excepté le sien, à un Sçavant de profession ; qu'il suppléera aux Livres élémentaires ; qu'il dévelopera les vrais principes des Choses ; qu'il en marquera les rapports ; qu'il contribuera à la certitude & au progrès des connoissances humaines, & qu'en multipliant le nombre des vrais Sçavans, des Artistes distingués, & des Amateurs éclairés, il répandra dans la société de nouveaux avantages.
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LES ÊTRES PHYSIQUES agissent sur les sens. Les impressions de ces Êtres en excitent les perceptions dans l'Entendement. L'Entendement ne s'occupe de ses perceptions que de trois façons, selon ses trois facultés principales, la Mémoire, la Raison, l'Imagination. Ou l'Entendement fait un dénombrement pur & simple de ses perceptions par la Mémoire ; ou il les examine, les compare & les digere par la Raison ; ou il se plaît à les imiter & à les contrefaire par l'Imagination. D'où résulte une distribution générale de la connoissance humaine qui paroît assez bien fondée ; en Histoire, qui se rapporte à la Mémoire ; en Philosophie, qui émane de la Raison ; & en Poësie, qui naît de l'Imagination.
L'HISTOIRE est des faits ; & les faits sont ou de Dieu, ou de l'homme, ou de la nature. Les faits qui sont de Dieu, appartiennent à l'Histoire Sacrée. Les faits qui sont de l'homme, appartiennent à l'Histoire Civile ; & les faits qui sont de la nature, se rapportent à l'Histoire Naturelle.
I. L'HISTOIRE SACRÉE se distribue en Histoire Sacrée ou Ecclésiastique proprement dite, où l'événement a précédé le récit ; & en Histoire des Prophéties, où le récit a précédé l'événement.
II. L'HISTOIRE CIVILE, cette branche de l'Histoire Universelle, cujus fidei exempla majorum, vicissitudines rerum, fundamenta prudentiae civilis, hominum denique nomen & fama commissa sunt, se distribue suivant ses objets en Histoire Civile proprement dite & en Histoire Littéraire.
Les Sciences sont l'ouvrage de la réflexion & de la lumiere naturelle des hommes. Le Chancelier Bacon a donc raison de dire dans son admirable Ouvrage de dignitate & augmento Scientiarum, que l'Histoire du Monde, sans l'Histoire des Sçavans, c'est la statue de Polipheme à qui on a arraché l'oeil.
L'Histoire Civile proprement dite, peut se sous-diviser en Mémoires, en Antiquités, & en Histoire complette. S'il est vrai que l'Histoire soit la peinture des tems passés, les Antiquités en sont des desseins presque toujours endommagés, & l'Histoire complette, un tableau dont les Mémoires sont des études.
III. La distribution de L'HISTOIRE NATURELLE est donnée par la différence des faits de la Nature, & la différence des faits de la Nature, par la différence des états de la Nature. Ou la Nature est uniforme & suit un cours réglé, tel qu'on le remarque généralement dans les corps célestes, les animaux, les végétaux, &c. ou elle semble forcée & dérangée de son cours ordinaire, comme dans les monstres ; ou elle est contrainte & pliée à différens usages, comme dans les Arts. La Nature fait tout, ou dans son cours ordinaire & réglé, ou dans ses écarts, ou dans son emploi. Uniformité de la Nature, premiere Partie d'Histoire Naturelle. Erreurs ou Écarts de la Nature, seconde Partie d'Histoire Naturelle. Usages de la Nature, troisiéme Partie d'Histoire Naturelle.
Il est inutile de s'étendre sur les avantages de l'Histoire de la Nature uniforme. Mais si l'on nous demande à quoi peut servir l'Histoire de la Nature monstrueuse, nous répondrons, à passer des prodiges de ses écarts aux merveilles de l'Art ; à l'égarer encore ou à la remettre dans son chemin ; & sur-tout à corriger la témérité des Propositions générales, ut axiomatum corrigatur iniquitas.
Quant à l'Histoire de la Nature pliée à différens usages, on en pourroit faire une branche de l'Histoire Civile ; car l'Art en général est l'industrie de l'homme appliquée par ses besoins ou par son luxe, aux productions de la Nature. Quoi qu'il en soit, cette application ne se fait qu'en deux manieres, ou en rapprochant, ou en éloignant les corps naturels. L'homme peut quelque chose ou ne peut rien, selon que le rapprochement ou l'éloignement des corps naturels est ou n'est pas possible.
L'Histoire de la Nature uniforme se distribue suivant ses principaux objets, en Histoire Céleste, ou des Astres, de leurs mouvemens, apparences sensibles, &c. sans en expliquer la cause par des systêmes, des hypotheses, &c. il ne s'agit ici que de phénomenes purs. En Histoire des Météores, comme vents, pluies, tempêtes, tonnerres, aurores boréales, &c. En Histoire de la Terre & de la Mer, ou des montagnes, des fleuves, des rivieres, des courants, du flux & reflux, des sables, des terres, des forêts, des isles, des figures des continens, &c. En Histoire des Minéraux, en Histoire des Végétaux, & en Histoire des Animaux. D'où résulte une Histoire des Elémens, de la Nature apparente, des effets sensibles, des mouvemens, &c. du Feu, de l'Air, de la Terre, & de l'Eau.
L'Histoire de la Nature monstrueuse doit suivre la même division. La Nature peut opérer des prodiges dans les Cieux, dans les régions de l'Air, sur la surface de la Terre, dans ses entrailles, au fond des Mers, &c. en tout & partout.
L'Histoire de la Nature employée est aussi étenduë que les différens usages que les hommes font de ses productions dans les Arts, les Métiers, & les Manufactures. Il n'y a aucun effet de l'industrie de l'homme, qu'on ne puisse rappeller à quelque production de la Nature. On rappellera au travail & à l'emploi de l'Or & de l'Argent, les Arts du Monnoyeur, du Bateur-d'Or, du Fileur-d'Or, du Tireur-d'Or, du Planeur, &c. au travail & à l'emploi des Pierres précieuses, les Arts du Lapidaire, du Diamantaire, du Joaillier, du Graveur en Pierres fines, &c. au travail & à l'emploi du Fer, les Grosses-Forges, la Serrurerie, la Taillandrie, l'Armurerie, l'Arquebuserie, la Coutellerie, &c. au travail & à l'emploi du Verre, la Verrerie, les Glaces, l'Art du Miroitier, du Vitrier, &c. au travail & à l'emploi des Peaux, les Arts de Chamoiseur, Taneur, Peaucier, &c. au travail & à l'emploi de la Laine & de la Soie, son tirage, son moulinage, les Arts de Drapiers, Passementiers, Galonniers, Boutonniers, Ouvriers en Velours, Satins, Damas, Etoffes brochées, Lustrines, &c. au travail & à l'emploi de la Terre, la Poterie de terre, la Fayance, la Porcelaine, &c. au travail & à l'emploi de la Pierre, la partie méchanique de l'Architecte, du Sculpteur, du Stuccateur, &c. au travail & à l'emploi des Bois, la Menuiserie, la Charpenterie, la Marquetterie, la Tabletterie, &c. & ainsi de toutes les autres matieres, & de tous les autres Arts, qui sont au nombre de plus de deux cens cinquante. On a vû dans le corps de ce projet, comment nous nous sommes proposé de traiter de chacun.
Voilà tout l'Historique de la connoissance humaine ; ce qu'il en faut rapporter à la mémoire; & ce qui doit être la matiére premiere du Philosophe.
LA PHILOSOPHIE, ou la portion de la connoissance humaine qu'il faut rapporter à la Raison en très-étendue. Il n'est presqu'aucun objet apperçu par les sens, dont la réflexion n'ait fait une Science. Mais dans la multitude de ces objets, il y en a quelques-uns qui se font remarquer par leur importance, quibus abscinditur infinitum, & auxquels on peut rapporter toutes les Sciences. Ces chefs sont Dieu, à la connoissance duquel l'homme s'est élevé par la réflexion sur l'Histoire Naturelle & sur l'Histoire Sacrée : l'Homme qui est sûr de son existence par conscience ou sens interne ; la Nature dont l'homme a appris l'histoire par l'usage de ses sens extérieurs. Dieu, l'Homme, & la Nature, nous fourniront donc une distribution générale de la Philosophie ou de la Science (car ces mots sont synonimes) ; & la Philosophie ou Science, sera Science de Dieu, Science de l'Homme, & Science de la Nature.
PHILOSOPHIE. Ou SCIENCE.
I. SCIENCE DE DIEU. II. SCIENCE DE L'HOMME. III. SCIENCE DE LA NATURE.
I. SCIENCE DE DIEU. L'Histoire Sacrée & l'Histoire de la Nature, ou plûtôt la réflexion sur ces Histoires, nous a conduit à la connoissance de Dieu. Mais le progrès naturel de I'esprit humain est de s'élever des individus aux especes, des especes aux genres, des genres prochains aux genres éloignés, & de former à chaque pas une Science ; ou du moins d'ajouter une branche nouvelle à quelque Science déja formée : ainsi la notion d'une Intelligence incréée, infinie, &c. que nous rencontrons dans la Nature, & que l'Histoire sacrée nous annonce ; & celle d'une Intelligence créée, finie & unie à un corps que nous appercevons dans l'homme, & que nous supposons dans la brute, nous ont conduits à la notion d'une Intelligence créée, finie, qui n'auroit point de corps ; & de là, à la notion générale de l'Esprit. Nous avons donc eu dans un ordre renversé, la Science de l'Esprit, ou la Pneumatologie, ou ce qu'on appelle communément Métaphysique particuliere : & cette Science s'est distribuée en Science de Dieu ou Théologie naturelle, qu'il a plû à Dieu de rectifier & de sanctifier par Révélation, d'où Religion & Théologie proprement dite ; d'où par abus, Superstition. En doctrine des Esprits bien & malfaisans, ou des Anges & des Démons ; d'où Divination, & la chimere de la
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Magie noire. En Science de l'Ame qu'on a sous-divisée en Science de l'Ame raisonnable, & en Science de l'Ame sensitive ou des Bêtes.
II. SCIENCE DE L'HOMME. La distribution de la Science de l'Homme nous est donnée par celle de ses facultés. Les facultés principales de l'Homme, sont l'Entendement, & la Volonté ; l'Entendement, qu'il faut diriger à la Vérité ; la Volonté, qu'il faut plier à la Vertu. L'un est le but de la Logique ; l'autre est celui de la Morale.
LA LOGIQUE peut se distribuer en Art de penser, en Art de retenir ses pensées, & en Art de les communiquer.
L'Art de Penser a autant de branches, que l'Entendement a d'opérations principales. Mais on distingue dans l'Entendement quatre opérations principales, l'Appréhension, le Jugement, le Raisonnement, & la Méthode. On peut rapporter à l'Appréhension, la Doctrine des idées ou Perceptions ; au Jugement, celle des Propositions ; au Raisonnement & à la Méthode, celle de l'Induction & de la Démonstration. Mais dans la Démonstration, où l'on remonte de la chose à démontrer aux premiers principes ; ou l'on descend des premiers principes à la chose à démontrer : d'où naissent l'Analyse & la Synthese.
L'Art de Retenir a deux branches, la Science de la Mémoire même, & la Science des Supplémens de la Mémoire. La Mémoire que nous avons considérée d'abord comme une faculté purement passive, & que nous considérons ici comme une puissance active que la raison peut perfectionner, est ou Naturelle, ou Artificielle. La Mémoire naturelle est une affection des organes ; l'Artificielle consiste dans la Prénotion & dans l'Emblême : la Prénotion sans laquelle rien en particulier n'est présent à I'esprit ; l'Emblême par lequel l'Imagination est appellée au secours de la Mémoire.
Les Représentations artificielles sont le Supplément de la Mémoire. L'Ecriture est une de ces représentations : mais on se sert en écrivant, ou des Caracteres courans, ou de Caracteres particuliers. On appelle la collection des premiers, l'Alphabet ; les autres se nomment Chiffres : d'où naissent les Arts de lire, d'écrire, de déchiffrer, & la Science de l'Orthographe.
L'Art de Transmettre se distribue en Science de l'Instrument du Discours, & en Science des qualités du Discours. La Science de l'Instrument du Discours s'appelle Grammaire. La Science des qualités du Discours, Rhétorique.
La Grammaire se distribue en Science des Signes, de la Prononciation, de la Construction, & de la Sintaxe. Les Signes sont les sons articulés ; la Prononciation ou Prosodie, l'Art de les articuler ; la Syntaxe, l'Art de les appliquer aux différentes vûës de l'esprit, & la Construction, la connoissance de l'ordre qu'ils doivent avoir dans le discours, fondé sur l'usage ou sur la réflexion. Mais il y a d'autres Signes de la pensée que les sons articulés : sçavoir le Geste & les Caracteres. Les Caracteres sont ou idéaux, ou hiéroglyphiques, ou héraldiques. Idéaux, tels que ceux des Indiens qui marquent chacun une idée & qu'il faut par conséquent multiplier autant qu'il y a d'êtres réels. Hiéroglyphiques, qui sont l'écriture du Monde dans son enfance. Héraldiques, qui forment ce que nous appellons la Science du Blason.
C'est aussi à l'Art de transmettre, qu'il faut rapporter la Critique, la Paedagogique & la Philologie. La Critique, qui restitue dans les Auteurs les endroits corrompus, donne des éditions, &c. La Paedagogique, qui traite du choix des Etudes, & de la maniere d'enseigner. La Philologie, qui s'occupe de la connoissance de la Littérature universelle.
C'est à l'Art d'embellir le Discours, qu'il faut rapporter la Versification, ou le méchanique de la Poësie. Nous omettrons la distribution de la Rhétorique dans ses différentes parties, parce qu'il n'en découle ni Science ni Art ; si ce n'est peut être la Pantomime, du Geste ; & du Geste & de la Voix, la Déclamation.
LA MORALE, dont nous avons fait la seconde partie de la Science de l'Homme, est ou générale ou particuliere. Celle-ci se distribue en Jurisprudence Naturelle, OEconomique & Politique. La Jurisprudence Naturelle est la Science des devoirs de l'Homme seul, dont un des principaux est de se conserver ; d'où naît l'Architecture civile, qui n'étoit dans son origine que l'Art de se garantir des injures des élémens (1) : l'OEconomique, la Science des devoirs de l'Homme en famille : la Politique, celle des devoirs de l'Homme en société. Mais la Morale seroit incomplette, si ces Traités n'étoient précédés de celui de la réalité du bien & du mal moral ; de la nécessité de remplir ses devoirs, d'être bon, juste, vertueux, &c. c'est l'objet de la Morale générale.
Si l'on considere que les sociétés ne sont pas moins obligées d'être vertueuses que les particuliers, on verra naître les devoirs des sociétés, qu'on pourroit appeller Jurisprudence naturelle d'une société ; OEconomique d'une société, d'où Architecture navale (2), Commerce intérieur, extérieur, de terre & de mer ; & Politique d'une société. L'Art de se défendre, de s'étendre, &c. est la branche de la Politique qui a donné naissance à l'Art Militaire (3), dont la Tactique ou l'Art de camper, de ranger les armées en batailles, &c. l'Architecture militaire ou les Fortifications, & la Pyrotechnie militaire (4) ou l'Art d'appliquer le feu aux usages de la guerre sont des sous-divisions.
(1). (2). (3). (4). On ne peut nier que les Architectures Civile & Navale, l'Art Militaire, &c. ne soient ici placés à leur origine ; mais rien n'empêche le Lecteur de renvoyer ces parties à la branche des Mathématiques qui traite de leurs principes, s'il le juge à propos.
III. SCIENCE DE LA NATURE. Nous distribuerons la Science de la Nature en Physique, Mathématique, & Métaphysique générale. Nous tenons encore cette distribution de la réflexion & de notre penchant à généraliser. Nous avons pris par les sens la connoissance des individus réels ; Soleil, Lune, Sirius &c. Astres ; Air, Feu, Terre, Eau &c. Elémens : Pluies, Neiges, Grêles, Tonnerres, &c. Météores ; & ainsi du reste de l'Histoire Naturelle. Nous avons pris en même tems la connoissance des abstraits, couleur, son, saveur, odeur, densité, rareté, chaleur, froid, molesse, dureté, fluidité, solidité, roideur, élasticité, pesanteur, légereté &c. figure, distance, mouvement, repos, durée, étendue, quantité, impénétrabilité, existence, possibilité.
Nous avons vû par la réflexion que de ces abstraits, les uns convenoient à tous les individus réels, comme possibilité, ordre d'existence, de coéxistence, &c. impénétrabilité, quantité, &c. & nous en avons fait les Sciences qu'on appelle Métaphysique générale, ou Ontologie, ou Science de l'Etre en général ; & Mathématiques, assignant pour objet à l'Ontologie, l'impénétrabilité, l'existence, l'étenduë, la possibilité, &c. considérées par rapport à leur nature ; & la quantité seule, aux Mathématiques. Quant aux autres abstraits qui ne conviennent qu'à une certaine collection d'individus, ils ont constitué la Science qu'on appelle Physique.
Mais ces derniers abstraits, objet de la Physique, pouvoient être considérés, ou seuls & indépendamment des individus réels qui nous en ont donné l'idée ; ou dans ces individus réels ; & cette nouvelle vue de la réflexion, a distribué la Physique en Physique générale, & en Physique particuliere.
Pareillement, la quantité, objet des Mathématiques, pouvoit être considérée, ou seule & indépendamment des individus réels, & des individus abstraits dont on en tenoit la connoissance ; ou dans ces individus réels & abstraits ; ou dans leurs effets recherchés d'après des causes réelles ou supposées ; & cette seconde vûe de la réflexion a distribué les Mathématiques en Mathématiques pures, Mathématiques mixtes, Physicomathématiques.
La quantité abstraite, objet des Mathématiques pures, est ou nombrable, ou étendue. La quantité abstraite nombrable est devenue l'objet de l'Arithmétique ; & la quantité abstraite étendue, celui de la Géométrie.
L'Arithmétique se distribue en Arithmétique Numérique ou par Chiffres, & en Algébre ou Arithmétique universelle par Lettres, qui n'est autre chose que le calcul des grandeurs en général, & dont les opérations ne sont proprement que des opérations Arithmétiques indiquées d'une maniere abrégée : car, à parler exactement, il n'y a calcul que de nombres.
L'Algébre est élémentaire ou infinitésimale, selon la nature des quantités auxquelles on l'applique. L'infinitêsimale est ou différentielle ou intégrale : différentielle, quand il s'agit de descendre de l'expression d'une quantité finie, ou considérée comme telle, à l'expression de son accroissement, ou de sa diminution instantanée ; intégrale, quand il s'agit de remonter de cette expression à la quantité finie même.
La Géométrie, ou a pour objet les propriétés du cercle & de la ligne droite ; ou embrasse dans ses spéculations toutes sortes de courbes ; ce qui la distribue en élémentaire, & en transcendante.
Les Mathématiques mixtes ont autant de divisions & de sous-divisions, qu'il y a d'êtres réels dans lesquels la quantité peut être considérée. La quantité considérée dans les corps en tant que mobiles, & tendans à se mouvoir, est l'objet de la Méchanique. La Méchanique a deux branches, la Statique & la Dynamique. La Statique a pour objet la quantité considérée dans les corps en équilibre, & tendans seulement à se mouvoir. La Dynamique a pour objet la quantité considérée dans les corps actuellement mus. La Statique & la Dynamique ont chacune deux parties. La Statique se distribuë en Statique proprement dite, qui a pour objet la quantité considérée dans les corps solides en équilibre, & tendans seulement à se mouvoir ; & en Hydrostatique qui a pour objet la quantité considérée dans les corps fluides en équilibre, & tendans seulement à se mouvoir. La Dynamique se distribuë en Dynamique proprement dite, qui a pour objet la quantité considérée dans les corps solides actuellement mus ; & en Hydrodynamique, qui a pour objet la quantité considérée dans les corps fluides actuellement mus. Mais si l'on considere la quantité dans les eaux actuellement muës, l'Hydrodynamique prend alors le nom d'Hydraulique. On pourroit rapporter la Navigation à l'Hydrodynamique, & la Ballistique ou le jet des Bombes, à la Méchanique.
La quantité considérée dans les mouvemens des Corps Célestes donne l'Astronomie géométrique ; d'où la Cosmographie ou Description de l'Univers, qui se divise en Uranographie ou Description du Ciel, en Hydrographie ou Description des Eaux, & en Géographie ; d'où encore la Chronologie, & la Gnomonique ou l'Art de construire des Cadrans.
La quantité considérée dans la lumiere, donne l'Optique. Et la quantité considérée dans le mouvement de la lumiere, les différentes branches d'Optique. Lumiere muë en ligne directe, Optique proprement dite ; lumiere réfléchie dans un seul & même milieu, Catoptrique ; lumiere rompue en passant d'un milieu dans un autre, Dioptrique. C'est à l'Optique qu'il faut rapporter la Perspective.
La quantité considérée dans le son, dans sa véhémence, son mouvement, ses degrés, ses réflexions, sa vîtesse, &c. donne l'Acoustique.
La quantité considérée dans l'Air, sa pesanteur, son mouvement, sa condensation, raréfaction, &c. donne la Pneumatique.
La quantité considérée dans la possibilité des événemens, donne l'Art de conjecturer, d'où naît l'Analyse des Jeux de hazard.
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L'objet des Sciences Mathématiques étant purement intellectuel, il ne faut pas s'étonner de l'exactitude de ses divisions.
La Physique particuliére doit suivre la même distribution que l'Histoire Naturelle. De l'Histoire, prise par les sens, des Astres, de leurs mouvemens, apparences sensibles, &c. la réflexion a passé à la recherche de leur origine, des causes de leurs phénomenes, &c. & a produit la Science qu'on appelle Astronomie physique, à laquelle il faut rapporter la Science de leurs influences, qu'on nomme Astrologie ; d'où l'Astrologie physique, & la chimere de l'Astrologie judiciaire. De l'Histoire, prise par les sens, des vents, des pluies, grêles, tonnerres, &c. la réflexion a passé à la recherche de leurs origines, causes, effets, &c. & a produit la Science qu'on appelle Météorologie.
De l'Histoire, prise par les sens, de la Mer, de la Terre, des fleuves des rivieres, des montagnes, des flux & reflux, &c. la réflexion a passé à la recherche de leurs causes, origines, &c. & a donné lieu à la Cosmologie ou Science de l'Univers, qui se distribue en Uranologie ou Science du Ciel, en Aerologie ou Science de l'Air, en Géologie ou Science des Continens, & en Hydrologie ou Science des Eaux. De l'Histoire des Mines, prise par les sens, la réflexion a passé à la recherche de leur formation, travail, &c & a donné lieu à la Science qu'on nomme Minéralogie. De l'Histoire des Plantes, prise par les sens, la réflexion a passé à la recherche de leur oeconomie, propagation, culture, végétation, &c. & a engendré la Botanique dont l'Agriculture & le Jardinage sont deux branches.
De l'Histoire des Animaux, prise par les sens, la réflexion a passé à la recherche de leur conservation, propagation, usage, organisation, &c. & a produit la Science qu'on nomme Zoologie ; d'où sont émanés la Médecine, la Vétérinaire, & le Manege ; la Chasse, la Pêche, & la Fauconnerie ; l'Anatomie simple & comparée. La Médecine (suivant la division de Boerhaave) ou s'occupe de l'oeconomie du corps humain & raisonne son anatomie, d'où naît la Physiologie : ou s'occupe de la maniere de le garantir des maladies, & s'appelle Hygiene : ou considere le corps malade, & traite des causes, des différences & des symptomes des maladies, & s'appelle Pathologie : ou a pour objet les signes de la vie, de la santé, & des maladies, leur diagnostic & prognostic, & prend le nom de Sémeiotique : ou enseigne l'Art de guérir, & se sous-divise en Diete, Pharmacie & Chirurgie, les trois branches de la Thérapeutique.
L'Hygiene peut se considérer relativement à la santé du corps, à sa beauté, & à ses forces ; & se sous-diviser en Hygiene proprement dite, en Cosmétique, & en Athlétique. La Cosmétique donnera l'Orthopédie, ou l'Art de procurer aux membres une belle conformation ; & l'Athlétique donnera la Gymnastique ou l'Art de les exercer.
De la connoissance expérimentale, ou de l'Histoire, prise par les sens des qualités extérieures, sensibles, apparentes, &c. des corps naturels, la réflexion nous a conduit à la recherche artificielle de leurs propriétés intérieures & occultes ; & cet Art s'est appellé Chimie. La Chimie est imitatrice & rivale de la Nature : son objet est presque aussi étendu que celui de la Nature même : je dirois presque que cette partie de la Physique est entre les autres, ce que la Poësie est entre les autres genres de Littérature : ou elle décompose les Etres ; ou elle les révivifie ; ou elle les transforme, &c. La Chimie a donné naissance à l'Alchimie, & à la Magie naturelle. La Métallurgie ou l'Art de traiter les Métaux en grand, est une branche importante de la Chimie. On peut encore rapporter à cet Art la Teinture.
La Nature a ses écarts, & la Raison ses abus. Nous avons rapporté les monstres aux écarts de la Nature ; & c'est à l'abus de la Raison qu'il faut rapporter toutes les Sciences & tous les Arts qui ne montrent que l'avidité, la méchanceté, la superstition de l'Homme, & qui le deshonorent.
Voilà tout le Philosophique de la connoissance humaine, & ce qu'il en faut rapporter à la Raison.
L'HISTOIRE a pour objet les individus circonscrits par le tems & par les lieux ; & la Poësie, les individus imaginés à l'imitation des Êtres historiques. Il ne seroit donc pas étonnant que la Poësie suivît une des distributions de l'Histoire. Mais les différens genres de Poësie, & la différence de ses sujets, nous en offrent deux distributions très-naturelles. Ou le sujet d'un Poëme est sacré, ou il est profane : ou le Poëte raconte des choses passées, ou il les rend présentes, en les mettant en action ; ou il donne du corps à des Êtres abstraits & intellectuels. La premiere de ces Poësies sera Narrative : la seconde, Dramatique : la troisiéme, Parabolique. Le Poëme Epique, le Madrigal, l'Epigramme, &c. sont ordinairement de Poësie narrative. La Tragédie, la Comédie, l'Opera, l'Eglogue, &c. de Poësie dramatique ; & les Allégories, &c. de Poësie parabolique.
NOUS N'ENTENDONS ICI par Poësie que ce qui est Fiction. Comme il peut y avoir Versification sans Poësie, & Poësie sans Versification, nous avons crû devoir regarder la Versification comme une qualité du stile, & la renvoyer à l'Art Oratoire. En revanche, nous rapporterons la Musique, la Peinture, la Sculpture, la Gravure, &c. à la Poësie ; car il n'est pas moins vrai de dire du Peintre qu'il est un Poëte, que du Poëte qu'il est un Peintre ; & du Sculpteur ou Graveur qu'il est un Peintre en relief ou en creux, que du Musicien qu'il est un Peintre par les sons. Le Poëte, le Musicien, le Peintre, le Sculpteur, le Graveur, &c. imitent ou contrefont la Nature : mais l'un emploie le discours ; l'autre, les couleurs ; le troisiéme, le marbre, l'airain, &c. & le dernier, l'instrument ou la voix. La Musique est Théorique ou Pratique, Instrumentale ou Vocale.
La Poësie a ses monstres comme la Nature ; il faut mettre de ce nombre toutes les productions de l'imagination déréglée, & il peut y avoir de ces productions en tous genres.
Voilà toute la Partie Poëtique de la Connoissance humaine ; ce qu'on en peut rapporter à l'Imagination, & la fin de notre Distribution Généalogique (ou si l'on veut Mappemonde) des Sciences & des Arts, que nous craindrions peut-être d'avoir trop détaillée, s'il n'étoit de la derniere importance de bien connoître nous-mêmes, & d'exposer clairement aux autres l'objet d'une ENCYCLOPÉDIE.
MAIS une considération que nous ne pouvons trop rappeller, c'est que le nombre des systêmes possibles de la connoissance humaine, est aussi grand que le nombre des esprits, & qu'il n'y a certainement que le systême qui existe dans l'Entendement Divin, d'où l'arbitraire soit exclu. Nous avons rapporté les Architectures civile, navale & militaire à leur origine : mais on pouvoit également bien les rapporter à la partie des Mathématiques, qui traite de leurs principes ; peut-être même à la branche de l'Histoire naturelle, qui embrasse tous les usages des productions de la nature ; ou renvoyer la Pyrotechnie à la Chimie ; ou associer l'Architecture à la Peinture, à la Sculpture, &c. Cette distribution eût été plus ordinaire ; mais le Chancélier Bacon n'a pas crû que ce fût une raison pour la suivre ; & nous l'avons imité dans cette occasion, & dans beaucoup d'autres ; toutes les fois, en un mot, que l'Histoire ne nous instruisant point de la naissance d'une Science ou d'un Art, elle nous laissoit la liberté de nous en rapporter à des conjectures philosophiques. Il y a sans doute un systême de la connoissance humaine, qui est le plus clair, le mieux lié, & le plus méthodique : l'avons-nous rencontré ? c'est ce que nous n'avons pas la présomption de croire. Aussi nous demanderons seulement, qu'avant que de rien décider de celui que nous avons préféré, on se donne la peine de l'examiner & de l'entendre. L'objet est ici d'une telle étendue que nous serions en droit de récuser pour Juges ceux qui se croiroient suffisamment instruits par un coup d'oeil jetté rapidement ou sur la figure de notre systême, ou sur l'exposition que nous venons d'en faire. Au reste, nous avons mieux aimé ajouter à notre Projet ces deux morceaux qui forment un Tableau sur lequel le Lecteur est en état de connoître l'ordonnance de l'Ouvrage entier, que de lui communiquer des articles qui ne lui auroient donné qu'une idée très-imparfaite de quelques-unes de ses parties. Si l'on nous objecte que l'ordre alphabétique détruira la liaison de notre systeme de la Connoissance humaine ; nous répondrons que, cette liaison consistant moins dans l'arrangement des matieres que dans les rapports qu'elles ont entr'elles, rien ne peut l'anéantir, & que nous aurons soin de la rendre sensible par la disposition des matieres dans chaque article, & par l'exactitude & la fréquence des renvois.
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CE DICTIONNAIRE sera imprimé sur le même Papier & avec les mêmes Caracteres que le présent Projet. Il aura dix Volumes in-folio, dont huit de matiere, de deux cens quarante feuilles chacun ; & six cens Planches en taille-douce, avec leur Explication, qui formeront les Tomes IX. & X.
On ne sera admis à souscrire que jusqu'au premier Mai 1751 ; & l'on payera en souscrivant 60 liv. En Juin 1751 en recevant le premier Volume 36 liv. En Décembre suivant le second Volume 24. En Juin 1752 le troisiéme Volume 24. En Décembre suivant le quatriéme Volume 24. En Juin 1753 le cinquiéme Volume 24. En Décembre suivant le sixiéme Volume 24. En Juin 1754 le septiéme Volume 24. En Décembre suivant le huitiéme Volume, avec les six cens Planches en taille-douce qui formeront les Tomes IX. & X. 40. TOTAL 280 liv.
Les Souscripteurs sont priés de retirer les Volumes à mesure qu'ils paroîtront, & tout l'Ouvrage un an après la livraison du dernier Volume. A faute de quoi, ils perdront les avances qu'ils auront faites ; c'est une clause expresse des conditions proposées.
Ceux qui n'auront pas souscrit, payeront les Volumes à raison de vingt-cinq liv. chacun en feuille, & les six cens Planches à raison de cent soixante-douze livres ; ce qui formera une somme de 372 livres.
Dans le cas où la matiere de cet Ouvrage produiroit un Volume de plus, les Souscripteurs payeront ce Volume sept livres de moins que ceux qui n'auront pas souscrit.
De l'Imprimerie de LE BRETON, Imprimeur ordinaire DU ROY.